Une dynamique qui prend du souffle et de la continuité en se nourrissant paradoxalement de conditions chaotiques : voilà comment jaurais envie de parler en une phrase de la 3ème conférence européenne de lAMP à Belgrade. On avait participé à celle de Milan en 2001, en pleine hystérie des contre-sommets -au printemps juste avant Gênes-, puis à une sorte de deuxième étape plus calme et introspective à Leiden en 2002, chez nos ami-es hollandais-es, on a donc continué le mouvement cet été 2004.
Quelques rappels sur lorganisation de PGA
Lidée est de faire fonctionner un réseau non centralisé, horizontal et non formel, dont lexistence concrète apparaît au moment des conférences régionales ou mondiales, les journées daction, ainsi que des listes de discussion par internet (échanges dinformations sur les projets et actions effectuées dans différents pays, réflexions politiques, organisations des conférences et journées daction). La principale langue commune utilisée est langlais, avec lespagnol qui revient aussi souvent. La logistique et la coordination pour lorganisation dune conférence régionale sont en principe assurées par le ou les convenor(s), ce qui signifie à peu près « groupe convoquant », et dont le rôle est tournant. Les groupes ayant été convenors de lAMP en Europe furent : les anglais-es de Reclaim the Street, ensuite Ya Basta de Milan, puis en 2002 une coordination peu aboutie entre Eurodusnie de Leiden et Le Mouvement de Résistance Globale de Catalogne. Depuis la conférence de Leiden, le manque dun groupe/réseau suffisamment fort et organisé pour organiser la prochaine conférence sest fait sentir, beaucoup dappels du pied ont été lancés vers le non-réseau sans-titre français, et ces bougres ont jusquà présent refusé. Il apparaissait néanmoins logique que lAMP se tourne davantage vers lest de lEurope, cest pourquoi en janvier 2003 le groupe DSM de Belgrade a été, un peu par défaut, accepté comme nouveau convenor de PGA Europe.
Plusieurs réunions ont eu lieu à Belgrade et à Londres la dernière année pour préparer cette conférence, dont une à laquelle jai personnellement participé, il en ressortait pour beaucoup de raisons (organisationnelles et politiques) une claire incapacité pour DSM dorganiser cet événement. Néanmoins loption de Belgrade a été maintenue par défaut dune autre perspective, en raisons de relations personnelles fortes et intéressantes engagées avec des personnes sur place, et pour lintérêt politique dorganiser une telle rencontre en Serbie (à lest et dans une ville bombardée par lOTAN).
Une fois quon se ballade dans les rues de Belgrade, on peut se dire que Kusturica nest quun vulgaire photographe, que son génie créatif se limite à avoir pris une caméra pour filmer la folie qui habite les lieux.
Après avoir passé la frontière serbe, on sait quon entre dans un univers non policé et organisé. A la fois, il y a le côté agréable de ce chaos, comme labsence de supermarchés et de panneaux de pub, de banques et de centres commerciaux. Et puis, le côté déroutant de ces tas dordures déversés un peu partout, des routes où on na pas pris la peine décrire le nom, et dune manière générale dêtre dans un pays dont on connaît la puissance des mafias et où on sait que létat ne contrôle pas vraiment la situation.
Organiser une conférence de PGA dans ce contexte, cétait bien sûr sexposer à beaucoup dennuis et de complications à gérer.
En même temps, cétait une manière de nous sortir de nos cadres riches bien tranquilles et organisés, de nos régions pacifiées et lissées par largent et la modernité.
Aller jusque Belgrade était un long périple, que nous nous déplacions pour une fois beaucoup plus sur la carte de lEurope renversait aussi les perspectives par rapport aux russes, ukrainien-nes, hongrois-es ou grec-ques, car ce sont eux-elles qui se farcissent dhabitude les 40 heures de bus.
On est venu-es à cinq avec un bébé dans un bus VW qui partait de Berlin, mais attention un van taggué dans le plus pur style hip hop, tout vert avec une sorte de reptile peint sur lavant, et inscrit en grosses lettres « Happy Rebel ». Avec une telle allure, on ne pouvait faire que forte impression dans les régions quon a traversées, au bout de deux jours et une nuit de route sous la première canicule de juillet, on a atterri à Jajinci dans la banlieue sud de Belgrade. On a monté nos tentes à la lueur des lampes de poche, et on a pris connaissance des lieux principaux de la conférence, une école primaire et un jardin denfants. Le début officiel de la conférence était le 23 juillet, le surlendemain, mais beaucoup de personnes étaient déjà arrivées, dont toute une équipe de sans-titre qui étaient venu-es en caravane depuis la France une semaine auparavant. On a été mis-es immédiatement dans le bain du chaos et du stress qui régnait quant aux conditions logistiques sur place. Il faut savoir que depuis plusieurs mois, le groupe DSM, rongé par des conflits internes, avait pour ainsi dire explosé. Une partie des gens de DSM avaient décidé dorganiser une sorte de conférence parallèle à Resnick (lemplacement prévu au départ pour la conférence, à quelques kilomètres de Jajinci). Je ne suis pas parvenue à éclaircir le détail des conflits, les causes de la rupture ni les options en présence. Il se faisait en tous cas que des 25 personnes que javais rencontrées à Belgrade en octobre, plus aucune nétait présente à Jajinci, excepté le leader charismatique et politicien de DSM qui était toujours à son poste de « grand communicateur ». Seules quatre ou cinq personnes de Belgrade avaient porté jusquà ce moment lorganisation pratique de la conférence, ce qui était clairement dérisoire par rapport à la quantité de choses à préparer, ce sont donc les hollandais-es, anglais-es et français-es arrivé-es avant le début qui ont de justesse colmaté les trous pour assurer ces questions. Le manque de personnes connaissant bien le terrain et la langue locale a posé pas mal de problèmes, mais rien na finalement été insurmontable.
Jajinci est une sorte de banlieue chic de Belgrade, pas vraiment le « quartier industriel » dont on nous parlait dans les mails de préparation. Certains lavaient surnommé le Beverly Hills de Belgrade. Cest vrai que les maisons ressemblaient plutôt à des villas et étaient beaucoup moins délabrées que ce quil y avait plus loin, mais il faut quand-même souligner que ces maisons semblaient en chantier permanent, auto-construites par leurs habitants mâles. Jai eu loccasion de discuter avec plusieurs personnes du quartier, ils semblent que cétaient des gens qui avaient travaillé pas mal dannées à louest pour ramener de largent, notamment comme maçons ou manœuvres sur des chantiers, et qui étaient donc au top pour construire eux-mêmes leurs maisons.
La place accordée aux enfants était un point qui avait pris une bonne place dans la préparation de la conférence, et lorganisation quotidienne dateliers de jonglage ou de peinture fut certainement un ciment important des relations avec les habitant-es du quartier. Pas mal de jeunes et dados (qui sexprimaient pour beaucoup très bien en anglais) étaient présent-es quotidiennement sur le site pour participer à différents ateliers ou discuter avec les gens.
Leur présence créait vraiment une passerelle avec les autres habitant-es du quartier, illes jouaient les traducteurs quand on en avait besoin, constituaient une sorte déquipe diplomatique informelle.
Le groupe londonien Ryhtms of Resistance, une samba queer dont on avait déjà pu apprécier les talents au cours du camp No Border à Strasbourg, faisait également des merveilles en termes déchange interculturel. Illes organisaient tous les après-midi des ateliers de samba ouverts à tous-tes. Dintégrer de la sorte des tas de personnes qui ne se connaissent pas du tout dans un rythme commun, avec une patience et une pédagogie remarquables, créait une sorte dénergie collective tout à fait surprenante. De plus, comme cela se passait en plein air dans la cour de lécole, des tas de personnes aux styles les plus mélangés sasseyaient ensemble pour profiter du spectacle, des punks les plus typés souriaient aux mamies serbes enchantées. Ces quelques éléments plutôt sereins de relation avec lespace local ne supprimaient néanmoins pas la pression due à la présence de nombreux groupes nationalistes organisés en Serbie, et à létat desprit xénophobe assez général. La présence affichée de personnes homosexuelles ou transgenres dans le camp par exemple créait pas mal de tensions, notamment sous forme de graffitis anti-gays à répétition. Les looks atypiques et punks dune manière générale (piercings, dread locks, cheveux colorés, inscriptions anarchistes sur les vêtements et le corps, ) sont très mal tolérés à Belgrade, autant de la part des flics que de la population. Le bureau de DSM en centre-ville a dailleurs du être fermé avant le début de la conférence, après que des copain-ines français-es se soient fait taper dessus et menacer très violemment par des voisin-es en colère qui les traitaient de drogué-es et bon-nes à rien.
Régulièrement après la tombée de la nuit, des jeunes du quartier qui venaient boire de la bière sur le lieu du camp, ou jouer au volley, commençaient à faire des saluts nazis et à crier des slogans antisémites. Jusquà la fin de la conférence, cette atmosphère de rumeurs dattaques fascistes a crée une tension latente et permanente, dautant plus après la projection dimages de la gay pride du printemps dernier à Belgrade au cours de laquelle les participant-es se sont fait cogner ultra-violemment par des groupes de skins organisés, sous le regard passif de la police.
Pour en revenir au déroulement de la conférence en elle-même, il y a la difficulté quune rencontre comme celle de lAMP ne peut se résumer à des workshops et des décisions politiques.
Un tel événement tire sa force et son énergie, sa substance de toutes les conversations et moments informels qui vont survenir entre des personnes, ainsi que de la multitude danecdotes issues du jaillissement de la réalité concrète.
Ce patient travail de tissage humain ne peut bien sûr se synthétiser ni senvisager de manière exhaustive. Il sera différent pour chaque personne qui se sera trouvée là, quel que soit son degré dimplication et les raisons de sa présence. Les conséquences à moyen et long terme dun tel vivier de nouvelles connections sont toujours imprévisibles.
Mais je peux vous en donner une idée, un petit aperçu.
Le choix des grandes thématiques a été lobjet de violentes polémiques pendant toutes les réunions de préparation, particulièrement ce quon appelle en anglais la gender issue, cest à dire tout ce qui concerne lantipatriarcat et la réflexion politique sur les causes et effets de lidentité sexuelle. Le fait par exemple daccepter la présence à lintérieur du camp dun espace non-mixte réservé aux femmes a fait lobjet de palabres et déchanges de mails interminables. Les remises en question des rapports de domination genrés dans la société en générale et dans les groupes politiques en particulier, qui ont été beaucoup évoquées dans les réunions de préparation ont causé un départ en masse de femmes de DSM. Même si lespace non-mixte et la proposition dune journée exclusivement consacrée aux genres ont finalement été acceptées, pas mal de féministes ne sont finalement pas venues, découragées par lambiance dhostilité générale à ces questions. Malgré toute la difficulté de faire apparaître ces questions dans le débat collectif et le découragement que cela peut engendrer chez certaines personnes, une fois la dynamique enclenchée, elle porte toujours des effets importants. La journée sur les genres a été marquées par des grandes assemblées dhommes au visage sérieux et pensif, qui discutaient de la déconstruction de lidentité masculine. Les échos qui men sont parvenus laissent penser que ce type de remise en question collective ébranle des certitudes, et aura peut-être des effets durables. La zone de campement non-mixte femmes a été respectée et a certainement permis une plus grande présence et force des femmes impliquées dans le processus. Elle a également servi de zone de repli dans une situation de crise où une femme a été tabassée par son copain durant la nuit.
Dune manière générale, la plupart des débats politiques ont eu lieu en petits groupes sous forme dateliers de discussion préparés et proposés par des groupes avant la conférence. Il y avait une salle de projection où toute une série de films activistes ont pu être présentés. Les gens impliqués dans le processus Indymedia (sorte dagence de presse autogérée et à publication libre sur internet) étaient fort présents, il y avait une salle remplie dordinateurs qui tournaient 24h sur 24 et bien sûr une connexion haut débit à internet.
Cette question de la place si importante et structurante de linformatique et dinternet dans les réseaux activistes a fait lobjet dun débat fort intéressant et passionné, dans le cadre dune après-midi dateliers de réflexion sur la société industrielle. Vous en entendrez peut-être parler plus en détails ultérieurement.
Un peu plus de 300 personnes ont pris part à cette conférence, venues de Hollande, dEspagne, dItalie, de Hongrie, de Belgique, de France, de Pologne, dUkraine, de Russie, de Tchéquie, de Slovaquie, dAngleterre, de Croatie, de Slovénie, de Grèce, dAllemagne, dAustralie, du Venezuela, dAutriche, de Suisse, de Finlande, de Suède, de Roumanie, plus ceux et celles que je nai pas vu-es. Il y avait comme toujours cette ambiance particulière à la fois de suspension et daccélération du temps qui se produit dans ce type de grand Powow où les gens sont tous hors de leur routine et discutent d à toute heure du jour ou de la nuit.
Belgrade Conference | pga europe | www.agp.org | www.pgaconference.org