Samedi 16 Mai 1998
ACCORD SUR l'INVESTISSEMENT
Il ne faut pas vendre la peau de l'AMI avant de l'avoir tué...
Invité mardi à une table ronde, un collaborateur de l'Observatoire de la mondialisation a souligné les dangers qui demeurent avec le projet d'Accord multilatéral sur l'investissement.
"Si ce sont les présidents de General Motors, de Nestlé ou de Microsoft qui décident de l'avenir de la planète, le problème majeur c'est que vous et moi, en tant que citoyens, nous n'avons aucun moyen d'influencer leurs décisions." C'est de cette fa¸on très concrète que Nuri Albala a illustré les dangers de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI). Invité mardi à une table ronde à Genève par le "Comité spécial des ONG pour le développement", ce collaborateur de l'Observatoire de la mondialisation a souligné que, malgré le récent revers de l'AMI (interruption des négociations jusqu'en octobre), cet accord n'est de loin pas enterré. Il faut donc continuer à en combattre l'esprit.
Fondamentalement, l'AMI vise à mettre sur un pied d'égalité les investisseurs nationaux et étrangers. Adieu au vieux principe "protectionniste" de la préférence régionale et aux coups de pouce des autorités pour les entreprises locales. Le monde est à l'heure de la mondialisation. Et tous doivent "s'adapter": c'est-à-dire devenir plus compétitif que le voisin. Même si cette logique revient en définitive à celle du "jeu de l'avion": les mieux placés au début ramassent le gros lot et le reste -soit l'immense majorité- en est pour ses frais et paie les pots cassés. Sauf que dans les cieux économiques, les "mieux placés au début" sont les plus riches et les plus puissants.
"Avec l'AMI et ce type d'accord, les Etats démocratiques abandonnent leurs prérogatives. Or, en définitive, ce sont les droits de leurs citoyens", a renchéri Nuri Albala: "L'AMI a en effet inventé le principe du roll back que l'on a traduit en fran¸ais par le mot -fort à propos- de démantèlement." En clair, lorsqu'un Etat émet des réserves au moment de la signature de l'accord, il doit s'engager à les supprimer à terme, en ne faisant jamais marche arrière.
En pratique, cela donne le cas de figure suivant: si un parlement élu par une majorité libérale vote la suppression d'une réserve -qui va dans le sens d'une plus grande libéralisation des investissements-, cette modification devient aussitôt partie du traité international. Résultat: si quelques années plus tard, un parlement nouvellement élu veut réintroduire la réserve initiale au vu des conséquences jugées catatrophiques de sa suppression, cela sera impossible. L'abolition de la réserve est "verouillée par un effet de cliquet" en vertu de la primauté du droit international.
Dénoncer l'ensemble de l'accord? Impossible dans un délai raisonnable: la durée minimale d'intégration au traité a été fixée à cinq ans, à laquelle s'ajoutent six mois de préavis pour s'en retirer et, surtout, une période de quinze ans avant d'avoir le droit de dénoncer les facilités déjà accordées. Au total, on est donc lié au minimum pour vingt ans à travers l'AMI.
Et les firmes transnationales dans tout cela? Ce sont notamment ces fameux "investisseurs étrangers" pour lesquels l'AMI a été mis sur le métier. Histoire de leur permettre de s'installer oò bon leur semble et d'assurer leurs arrières en cas de chicanes gouvernementales ou de contestations civiles.
"Aux Etats toutes les obligations et aux entreprises tous les droits." Reprenant l'un des principaux reproches adressés à l'AMI, Nuri Albala a évoqué le cas bien connu de la société Ethyl qui produit un additif à l'essence au Canada. En vertu de l'accord de libre-échange nord-américain -qui à un mécanisme de règlement des différends comparable à celui de l'AMI-, Ethyl a poursuivi pour 251 millions de dollars le Gouvernement canadien quand celui-ci a interdit cet additif considéré comme dommageable pour les dispositifs antipollution des automobiles.
Comme dans les querelles commerciales qui opposent les Etats dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, tout est vu à travers la prisme de la "non-discrimination". Au bout du compte, le facteur déterminant n'est jamais le respect des populations ou de la nature, mais la stricte observance des principes établis de libre-échange ou de libre-investissement. Lorsqu'une mesure sanitaire ou environnementale est accusée d'entraver ces principes, c'est à l'Etat de faire la "preuve scientifique" qu'il ne s'agit pas d'une "mesure protectionniste déguisée".
Michael Roy
Une conférence sur l'AMI avec des intervenants de premier plan aura lieu à Genève, lundi 18 mai, à 20h, au Théâtre de la Parfumerie. Voir le détail en pages locales
Pour les opposants à l'AMI, transférer les négociations de l'OCDE à l'OMC n'est pas une solution. J.-L. Planté