Samedi 16 Mai 1998
MANIFESTATIONS CONTRE l'OMC
Le parti socialiste genevois pose un pavé sur la barricade
Le parti socialiste genevois s'engage contre la pensée néolibérale en publiant une brochure critique et en soutenant les actions du week-end contre l'OMC.
A l'heure des contre-manifestations autour du cinquantième anniversaire de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Parti socialiste genevois pose une pierre sur la barricade. Sa "commission de solidarité internationale" a en effet concocté une brochure concise et fort bien faite, intitulée Commerce international et politique de développement1. En outre, un projet de résolution vient d'être déposé au Grand conseil, invitant l'OMC à dresser un "bilan sur les effets néfastes de la libéralisation et de la mondialisation économique". Enfin, pour être cohérents avec l'appel de leur parti à soutenir les contre-manifestations du week-end, les députés socialistes genevois ont décidé de décliner une invitation à une réception officielle, qui sera donnée mardi par les autorités suisses à l'occasion du jubilé de l'OMC.
"Nous ne sommes pas contre une structure réglementant le commerce international. Mais nous voulons que cette organisation ouvre au profit des peuples et non pas des détenteurs du pouvoir économique", souligne Christian Brunier, président du parti socialiste genevois (PSG). Et de surenchérir: "Nous ne pouvons pas soutenir l'attitude de l'OMC ni le projet scandaleux d'Accord multilatéral sur l'investissement". Une fa¸on de relever qu'il ne suffit pas d'apporter quelques réformes aux structures existantes, mais bien de changer l'esprit qui les anime.
"Les options néolibérales de l'OMC sont en totale contradiction avec les principes de développement durable et de l'économie basée sur les besoins locaux", précise Laurence Fehlmann-Rielle, co-présidente de la "commission de solidarité internationale". Des principes qui ont été notamment énoncés dans le rapport Brundtland de la commission mondiale pour l'environnement et le développement en 1986.
OBJECTIFS DÉTOURNÉS
Comme le souligne Malik Ozden, qui a participé à la rédaction, la brochure ne se cantonne pas à l'analyse et à la critique du fonctionnement de l'OMC. Car cette organisation n'est qu'une pièce du système économique dominant dans lequel les institutions de Bretton Woods ont également été détournées de leurs objectifs initiaux. C'est pourquoi le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) en prennent aussi pour leur grade. "Rappelons que c'est le Chili de Pinochet qui a re¸u des crédits et non pas le Chili d'Allende".
L'AMI, ou Accord multilatéral sur l'investissement, a droit aussi à son chapitre. "Il ne faut pas croire que qu'on en est débarrassé", insiste Erik Grobet. Les réserves ou les modifications que veulent apporter certains gouvernements -en grande partie grâce à la mobilisation de leurs citoyens- ne remettent pas en cause le principe fondamental de l'AMI sur l'égalité de traitement entre les investisseurs nationaux étrangers. "Contrairement à ce que dit le gouvernement suisse, ce ne sont pas les petites et moyennes entreprises qui en bénéficieront: elles investissent relativement peu à l'étranger. En revanche, elles devront affronter les grandes multinationales sur leurs propres terres"2. Michael Roy
1 Cette brochure est disponible gratuitement auprès du secrétariat du Parti socialiste genevois, Bd James Fazy 18, 1201 Genève. 022/7380144.
2 Sur l'AMI, voir aussi l'encadré ci-contre et la page 14.
Programme genevois chargé
Genève est au coeur des événements.
Stands paysans en ville: samedi 16mai dès 9h, dans la zone piétonne du Mont-Blanc, des organisations agricoles suisses diront leurs revendications. Des stands seront dressés à cet endroit ainsi qu'à la place du Molard, au quai de l'Ile et à la place Neuve, oò des paysans vendront des produits locaux. Vers 12h-13h, arrivée de 600 zapatistes d'Italie et du Tessin.
Grande manifestation: samedi 16mai à 14h, place Neuve, départ du cortège vers l'OMC avec tracteurs, sono, etc.
À 15h30-16h, arrivée du cortège rue de Lausanne (fermée au trafic). Sur place: spectacles (théâtre, chansons), village des résistances, jeux pour enfants, campagnes en faveur des chômeurs, des réfugiés, etc.
Journée d'information sur l'OMC et la globalisation: dimanche 17mai de 10h à 18h à Uni-Dufour (salle Rouiller), des paysans, des syndicalistes du Nord et du Sud (France, Brésil, Mexique...) prendront la parole.
Squat en fête: dimanche à 18h30, les squatters du boulevard des Philosophes inaugurent la nouvelle fa¸ade de l'immeuble "Rhino".
L'esprit rebelle: lundi 18mai dès 9h, actions de désobéissance civile non-violentes en ville. Marche silencieuse vers l'OMC de gens bâillonnés.
Conférence exceptionnelle sur l'AMI: lundi à 20h au Théâtre de la Parfumerie, chemin de la Gravière, "Tous unis contre l'AMI", débat avec Agnès Bertrand, membre de l'Observatoire de la Mondialisation (Paris), Lorrie Wallach, directrice de Public Citizens' Watch (États-Unis), Tony Clark, du Canadian Council, animé par Michel Buhler, au Théâtre de la Parfumerie, chemin de la Gravière. MOP
Le peuple s'insurge en Inde. Dans la foulée des manifestations "anti-OMC" qui agiteront, un peu partout dans le monde, des villes de petite ou moyenne importance, certaines ne risquent pas de passer inaper¸ues. Toutes entendent signifier le même désaccord. Un message d'opposition à une politique économique -le libre-échange- présentée comme unique possible par les "grands de ce monde". A cet égard, l'Inde fera figure de fer de lance en Asie. Lundi, à l'occasion de l'ouverture de la session interministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), plus de 100 manifestations sont prévues dans de nombreuses villes indiennes.
Appelées par le JAFIP1, ces actions décentralisées font partie d'un ensemble de mesures auxquelles s'étaient engagés les membres de la délégation indienne présente lors de la conférence de l'AMP, en février dernier. Le professeur M.D.Nanjundaswamy, président de l'Association des paysans de l'Etat du Karnataka (KRRS), avait alors promis un grand rassemblement à l'occasion de la fête du travail. Chose promise, chose due. Le 1ermai, à Hyderabad, capitale de l'Andhra Pradesh, plusieurs centaines de milliers d'Indiens, venus de tout le pays, scandaient des slogans et demandaient le retrait immédiat de leur pays de l'OMC.
500 SUICIDES EN 5 MOIS
Le Pr. Nanjundaswamy donne l'impression d'être un grand-père, plus occupé par la méditation que par le militantisme. Il représente pourtant dix millions de paysans du Karnataka. Il s'insurge du "blackout" de la presse européenne à l'égard du "soulèvement" du 1er mai. "Taire notre lutte contre le libéralisme peut s'interpréter comme une conspiration" dit-il. "Et ne fait qu'accréditer la thèse de l'OMC, qui avance que les oppositions sont marginales". Les mouvements de protestation, issus en premier lieu des milieux paysans, se sont étendus à de nombreux secteurs.
La capitale de l'Andhra Pradesh avait été choisie comme lieu de rassemblement en raison du nombre croissant de suicides de paysans. "A cause de la politique imposée par l'OMC, en trois mois, 500 paysans se sont donné la mort", regrette le professeur indien. Les lourdes pertes de la saison passée, additionnées d'impôts trop lourds, contribuent à un tel désespoir. Selon le Deccan Chronicle (Hyderabad) une association essaie d'encourager les paysans à se soulever contre le gouvernement plutôt que de recourir au suicide. Dans un pays ou deux tiers de la population est agraire, les revendications sont susceptibles d'avoir un grand poids2. Sophie Malka
1 "Joint Action Forum of Indian People against the WTO and anti-people policies" Union de 50 mouvements populaires indiens représentant de nombreuses régions et groupes sociaux.
2 Le Gouvernement fédéral a imposé par décret les accords de l'OMC, le Parlement les ayant rejetés.
Hyderabad. Des centaines de milliers de manifestants célèbrent le 1er mai. LDD