Vendredi 22 Mai 1998, MANIF ET VANDALISME
La non-violence s'est affichée "bâillonnée et ligotée"
Comme samedi dernier, la journée de mardi a connu une manifestation pacifique et des dérapages pendant la nuit.
Un millier de personnes de tous âges ont participé à la manifestation "bâillonnée et ligotée" organisée par l'Action mondiale des peuples (AMP) mardi à 18h. Dans l'esprit de "réaffirmer la volonté d'action non-violente et déterminée des 8000manifestants de samedi dernier", le cortège est parti de la place du Mont-Blanc et a atteint l'île Rousseau vers 19h. Sur le chemin, une troupe allemande de théâtre de rue a mimé l'attitude de la police face aux manifestations anti-OMC en dénon¸ant les arrestations d'un grand nombre de leurs compatriotes. Sur l'île Rousseau, des discours appelant à la résistance non-violente se sont succédés. Les organisateurs ont rappelé l'annulation du chahut de nuit prévu à 21h.
A l'issue de la manifestation, la police a procédé au contrôle systématique des jeunes. Vérification d'identité, fouille des effets personnels et lecture de courrier privé ont été signalés par certains d'entre eux.
Par la suite, les organisateurs de l'AMP se sont rendus au rendez-vous du chahut de nuit afin de l'empêcher. Par trois fois, ils ont clairement demandé à la foule de s'en aller. Sans grand succès puisque la nuit a connu de nombreux actes de vandalisme autour de la plaine de Plainpalais. Un peu avant minuit, la police a chargé à grand renfort de gaz lacrymogène (voir la version du gouvernement ci-contre).
Par la suite, vers 2h du matin, le site Artamis a été cerné par la police. Environ soixante personnes ont été arrêtées. Certaines se trouvaient à la terrasse du café "Fuel", d'autres dormaient dans un hangar. Un jeune Allemand, arrivé lundi soir à Genève, n'a pas compris ce qui lui tombait dessus: "J'ai participé à deux manifestations pacifiques: lundi soir, à l'Hôtel Intercontinental, et mardi en fin d'après-midi. On m'a dit que je pouvais loger à Artamis. Je me suis fait réveiller et embarquer par des policiers. Avec 25autres personnes, nous nous sommes retrouvés dans un abri de la protection civile. Ils nous ont menotté les uns aux autres autour d'un large poteau en béton. Ils nous ont laissé jusqu'à 6h du matin. Après, ils ont pris mon identité, mes empreintes, quatre photos. Ils m'ont posé des questions, puis fait déshabiller entièrement". Le jeune homme ajoute, encore choqué: "Ils ont même cherché à savoir si j'avais caché quelque chose dans mes parties intimes!" Il a été relâché mercredi à 9h.
Sophie Malka/MSi
Des soutiens à un mouvement fondamentalement pacifique
Dans des communiqués de presse, le Parti socialiste genevois, la Jeunesse socialiste genevoise et l'Association pour le commerce équitable de Genève ont condamné la "violence gratuite" ayant entraîné des dégâts matériels pour de nombreux commer¸ants de la part d'individus extérieurs à l'esprit de la manifestation tenue contre l'Organisation mondiale du commerce du samedi 16 mai. Ces organisations rappellent que les casseurs "ne représentent, somme toute, pas grand chose, en regard des milliers de manifestants qui marchaient dans le calme". "MAUVAISE FOI" Selon ces communiqués, la mise en exergue de ces débordements par les médias relèverait de la "mauvaise foi" et irait plus "dans le sens de la presse à scandale" que d'un effort d'information objective. Outre le discrédit que cet éclairage sélectif jetterait sur un mouvement de contestation fondamentalement non-violent, l'amalgame avec ces "casseurs" permettrait aux commentateurs de faire l'impasse sur l'intelligence de ce "formidable mouvement de solidarité". De plus, le Parti socialiste et la Jeunesse socialiste jugent inadmissibles certains propos tenus par le Conseiller d'Etat Gérard Ramseyer, chef du Département de justice et police et des transports. Celui-ci aurait qualifié "toutes les manifestations qui ont lieu de par le monde contre l'OMC, de voyouterie" et rendu les organisateurs de la manifestation responsables des dommages enregistrés. Enfin, chacun des communiqués en appelle à replacer les dégâts matériels parasitant les manifestations de l'AMP dans le contexte plus large des violences dont l'OMC se rend coupable "bafouant, notamment, les droits sociaux et les impératifs écologiques, et créant un libéralisme dévastateur". CMr/MSi