Vendredi 22 Mai 1998, BILLET

La croisade des enfants n'a jamais pris Jérusalem

Dans le confort ouaté de l'"Intercontinental", les "grands" de ce monde peuvent à leur aise savourer le cinquantième anniversaire du GATT, devenu Organisation mondiale du commerce. Entre deux coupes de champagne, ils auront certainement apprécié à sa juste valeur la démonstration d'impuissance rageuse de quelques dizaines d'"autonomes" jouant aux Rambos de la lutte finale. Des êtres autonomes surtout à toute pensée critique et autocritique sur le sens de leurs actions, leurs motivations, leur rôle médiatique et infra-politique. Loin d'effrayer la société bien pensante, ces éjaculateurs précoces du Grand Soir ne font que la conforter dans son discours moralisateur d'ordre et de sécurité. Du pain béni pour les éditorialistes et la police. Vraiment pas de quoi déranger le désordre établi.

Je hurle avec les loups m'objecteront des amis de gauche pétris d'une tolérance certes louable mais sans grand discernement. Nous n'avons, à mon sens, absolument aucun devoir moral de tolérer n'importe quels agissements se parant du plumage d'une révolution mythique. La fascination de la violence, non merci. On a déjà assez donné au cours de ce siècle avec la grande catastrophe du stalinisme, et plus près de nous géographiquement et dans le temps, avec les Brigades Rouges, la R.A.F, et Action Directe. Basta ya!

Vous les avez vu comme moi samedi ces guérilleros urbains en peau de lapin. Vous les trouvez sympathiques? Aussi imperméables à l'humour qu'un garde mobile en faction, aliénés dans une théologie de la violence imbécile, fermés à tout dialogue, imbus d'eux-mêmes et de bière, bien souvent le crâne rasé et en rangers. C'est ca la gauche alternative? Certainement pas. Il serait temps de le leur dire. Pour ce faire, il nous faudrait éclaircir notre rapport à la violence, la non-violence, nous déniaiser d'un crétinisme romantique pseudo-révolutionnaire: Et je ne suis pas un pacifiste intégriste. Les confrontations sont nécessaires et toujours plus urgentes à tous les niveaux. En ce sens l'AMP répond à une nécessité vitale de coordonner les mouvements de résistances à la dictature du fric des quatre coins du monde.

Et il en existe de remarquables développant des luttes réellement populaires et d'une grande ingéniosité. La "mondialisation" nous condamne heureusement à inventer et mettre en ouvre la superbe utopie d'un internationalisme nouveau. C'est une très longue marche, déjà commencée, de connaissances, de reconnaissances, de définitions et redéfinitions, d'actions, de réactions. Une marche qui n'en finira pas, rien n'étant jamais acquis à l'Homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son coeur... et c'est peut être tant mieux!

Nicolas Furet

Membre de la communauté de Longo Maï


articles publiés dans Le Courrier - Mai 1998 | www.agp.org