G8, retraites, éducation: les mouvements sociaux français sont sur tous les fronts. « Non au calendrier de la régression sociale »
Paru le : 23 mai 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_397.htm

En pleine fronde nationale contre la casse sociale, syndicats et mouvements altermondialistes français s'unissent pour mobiliser contre le G8, et son prochain sommet à Evian, qu'ils accusent de soutenir la politique libre-échangiste prônée par l'OMC. Par ailleurs, médias et altermondialistes britanniques dénoncent les promesses non tenues et les échecs du G8. En particulier à propos du surendettement des pays du tiers monde.

MONA CHOLLET

Des enseignants en grève, déchaînés contre leur ministre de tutelle et contre les projets de décentralisation; un mouvement de refus de la réforme des retraites qui ne semble pas près de faiblir, avec de nouvelles grèves dans les transports prévues début juin, et une manifestation nationale à Paris, le 25 mai, qui promet d'être énorme...

En France, les syndicats, occupés à organiser la fronde contre la casse sociale du gouvernement Raffarin, n'en joignent pas moins leur voix à celle des associations altermondialistes pour appeler à la mobilisation contre le G8. « Nous avons un problème de conscience, expliquait mardi soir, lors d'une réunion publique à Paris, Annick Coupé, du syndicat SUD-PTT: nous souhaitons à la fois la grève générale et la réussite du contre-G8! Mais nous pouvons, nous devons réussir les deux. La mobilisation contre la réforme des retraites n'est pas une bizarrerie isolée, comme on essaie de nous le faire croire. Ce que nous refusons en France découle des orientations que le G8 veut imposer au monde: la marchandisation de la santé, de l'enseignement, des services publics, des retraites, de la protection sociale. Cela passe par le démantèlement de garanties collectives acquises par des décennies de luttes, et qui nous ont permis jusqu'ici de tenir en respect les fonds de pension, par exemple. Le gouvernement calque son projet sur celui du patronat, qui veut augmenter toujours plus ses profits. Dans les années 70, dans ce pays, la répartition des richesses entre le capital et le travail était de 30% contre 70%; aujourd'hui, on en est à 60-40. On assiste à une confiscation croissante des richesses par une minorité, à la fois d'un pays à l'autre et au sein d'un même pays. »

RÉUNION DE PROPAGANDE

Michèle Dessenne, d'Attac-France, renchérit: « On sait bien qu'il existe un calendrier de la régression sociale, dont l'AGCS (Accord général sur le commerce des services) négocié au sein de l'OMC est le fer de lance. C'est cela, la cause profonde de l'offensive à laquelle nous sommes confrontés en France. Le G8 pèse de tout son poids en faveur de cette politique. Nous devons clamer qu'il est illégitime en regard des besoins essentiels de l'écrasante majorité de la population de la planète. Certes, chaque pays y est représenté par un président élu, mais nous n'avons pas élu un gouvernement du monde. Et surtout pas un gouvernement où les plus riches décident pour les autres! »

José Bové, au nom de la Confédération paysanne, prévient: « On va avoir droit à la mise en scène du rabibochage possible entre Bush et Chirac, mais nous savons bien que sur le fond, aucun différend ne les sépare quant aux politiques à mettre en œuvre. A ceci près que les Etats-Unis semblent privilégier l'ouverture des marchés sur un mode unilatéral, à travers la multiplication de zones de libre-échange avec leurs partenaires désignés - le dernier en date étant le Moyen-Orient - tandis que l'Europe et Pascal Lamy continuent de préférer le multilatéralisme. » Il rappelle que, n'ayant aucun pouvoir décisionnel, le sommet sera surtout « une réunion de propagande », et servira à préparer le terrain pour le grand rendez-vous de l'OMC à Cancun, au Mexique, en septembre prochain: « Là, des décisions seront prises, et il nous faudra être dans la rue dès début septembre. »

UNE POLITIQUE SUICIDAIRE

La Confédération paysanne annonce déjà un grand rassemblement sur le plateau du Larzac, en août, pour préparer la mobilisation. Le voyage de Genève et Annemasse la motive cependant par le large partage d'expériences qu'il devrait permettre, ainsi que par la proximité des sièges de grandes multinationales, comme Nestlé, à Vevey, qui avait déjà reçu sa visite en mars, à l'occasion d'une manifestation contre la libéralisation par l'OMC des marchés agricoles. « Le G8 sera pour nous l'occasion de rappeler que 55% des personnes actives dans le monde sont des paysans. Or, l'ouverture des marchés agricoles les empêche de vivre de leur production et détruit les capacités vivrières des peuples. Avec l'adhésion de la Chine à l'OMC, fin 2001, même les économistes chinois officiels estiment que l'on va assister dans les prochaines années à l'exode de 350 millions de paysans chassés de leurs terres. Cette politique est suicidaire. Elle ne sert que les intérêts des multinationales. Le G8 sera pour nous une nouvelle occasion de revendiquer le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. » Mais aussi de clamer: « Pas touche au moratoire »; entendez le moratoire sur la culture et la commercialisation d'OGM, décidée en 1999 par sept pays de l'Union européenne, et contre lequel les Etats-Unis viennent de déposer plainte à l'OMC, estimant qu'il viole les règles sur le commerce international. « Nous nous retrouvons dans une situation similaire à celle de 1999, lorsque les Etats-Unis voulaient nous obliger à accepter l'importation de bœuf aux hormones, commente Bové. Ce qui nous avait amenés à démonter un certain fast-food... »

Outre les syndicats FSU (Fédération syndicale unitaire, énorme syndicat enseignant) et SUD, qui mobilisent nationalement, les syndicats CGT et CFDT de Haute-Savoie et de Rhône-Alpes devraient être présents à Annemasse et Genève, de même que les Verts, les communistes et la Ligue communiste révolutionnaire. S'y ajouteront les ONG du Centre de recherche et d'information sur le développement (Crid), organisateur du Spam (Sommet pour un autre monde). Avec une certaine témérité, François Hollande et le Parti socialiste tiendront, le 31 mai à Annemasse, un « forum pour une autre mondialisation », où sont annoncés Elizabeth Guigou, Harlem Désir, des représentants du Parti des travailleurs brésiliens et d'Attac, ou encore l'ancienne ministre malienne Aminata Traoré.

Pour plus d'infos sur internet: www.crid.asso.fr, www.g8-autremonde.org, www.larzac2003.org.

Médias et manifestants dénoncent les « échecs » du G8

GRANDE-BRETAGNE · Le bilan de la grand-messe des Etats les plus riches de la planète s'avère plutôt maigre. La réduction promise de la dette des pays pauvres marque le pas.

FABIO LO VERSO
Londres

Ainsi, lors du G8, les policiers allemands prêteront main forte aux policiers genevois. Pour les médias britanniques, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat. La nouvelle de l'insolite collaboration helvético-allemande occupe une poignée de lignes dans les colonnes du quotidien The Independent et dans celles de certains tabloïds. Loin du fracas sécuritaire soulevé autour du G8, à Evian, la presse du Royaume-Uni préfère concentrer son attention sur les « buts » que prétendent poursuivre les chefs d'Etats des huit pays les plus industrialisés de la planète.

L'heure est au bilan et celui-ci paraît plutôt mince. Vendredi dernier, le quotidien The Guardian s'est fait l'écho d'une étude1 dénonçant « l'échec du G8 » dans la réduction de la dette des pays pauvres. L'opinion britannique affiche un certain attachement à cette problématique. Les journalistes évoquent la contestation du mois de mai 1998, quand 70 000 manifestants avaient envahi les rues de Birmingham. Sur la vague ce cette contestation, le mouvement « Jubilee 2000 », né en Grande-Bretagne, parvenait à récolter 24 millions de signatures demandant l'annulation de la dette dans les Etats du tiers monde.

UNE DETTE SUR TROIS

Surpris par l'imposant coup de gueule poussé par la protestation britannique, les chefs d'Etats du G8, réunis dans la deuxième ville anglaise, s'étaient alors engagés à alléger l'endettement des pays pauvres à hauteur de 100 milliards de dollars. Cinq ans après la marche de Birmingham, « seulement un tiers » de ce gigantesque pactole a été biffé, relèvent les auteurs du rapport. Un geste insuffisant, qui a eu pour effet de soulager les économies de seulement 8 pays sur les 26 Etats visés par les mesures d'assainissement de la dette adoptées dans le cadre du G8. Selon une étude de la Banque mondiale, les économies des 18 autres pays demeurent, elles, plombées par une dette oppressante, dépassant d'une fois et demi le montant de leur revenu national.

« Où allons-nous comme ça? », se demande alors Larry Elliot, journaliste au Guardian2. L'expérience a montré que l'allègement de la dette a permis à certains pays d'affecter des ressources financières à des secteurs vitaux, tels la santé ou l'agriculture, en améliorant les services sanitaires et les conditions de production des paysans. Pourquoi dès lors ne pas accélérer le plan de désendettement des Etats du tiers monde?

PARADOXE DE LA VIOLENCE

Pour Guy Taylor, de l'organisation britannique « Globalise Resistance »3, à Londres, la réponse tient en un mot: « le profit ». Le G8 n'est autre qu'« une réunion pour réfléchir à comment tirer le maximum de gains pour les pays qui le composent », analyse-t-il. Pour preuve, dans les dossiers les plus urgents pour les pays du tiers monde, tels l'accès aux médicaments, l'environnement, ou l'agriculture, « les véritables intentions des grands de ce monde n'échappent plus à personne ».

Pour focaliser l'attention de l'opinion publique sur les « défaillances » des politiques conduites par le Cercle des Huit, « entre 700 et 1000 manifestants vont faire le voyage de Genève et Annemasse depuis la Grande-Bretagne », prédit Guy Taylor. Dans les bureaux de l'organisation basée dans la capitale anglaise, le travail bat son plein. Le téléphone ne cesse de sonner. « Mille personnes. Ce nombre équivaut à celui des agents allemandes qui iront aider la police genevoise à assurer la sécurité du G8 », ajoute Guy Taylor, avec une pointe d'ironie. « Il va de soi que le battage qui est fait autour de la question sécuritaire me paraît tout à fait inutile », poursuit-il. « Il faut comprendre que les manifestants sont des gens pacifiques. Regardez ce qui s'est passé lors de la grande manifestation antiguerre de Londres4. Deux millions de personnes ont défilé, pas une seule vitre n'a été brisée. »

« Nous n'avons pas d'armes, alors que la police, elle, est armée », renchérit de son côté Chris Nineham, l'un des responsables de « Globalise Restisance », de retour d'un voyage à Genève « pour aider les autres organisations à la mise au point des derniers détails en vue de la grande manifestation du 1er juin ». Selon celui-ci, la situation ne manque pas de sel lorsqu'on pense que l'argent des contribuables est dépensé pour protéger des « gouvernants violents, tels Blair et Bush », contre des manifestants pacifistes. Un paradoxe à mettre dans le compte du G8.

1The Guardian, « G8 has failed to deliver on debt », 16 mai 2003. Le rapport est le fruit d'une collaboration entre trois organisations: Jubilee Research, Jubilee Debt Campaign (associations reprenant le flambeau de Jubilee 2000), et le Cafod (bras anglais de Caritas International). Voir www.jubilee2000uk.org.
2 The Guardian, 19 mai 2003.
3 En collaboration avec « Stop the War Coalition », mouvement ayant réussi à mobiliser deux millions de personnes contre la guerre en Irak, « Globalise Resistance » organise la contestation britannique en vue du G8 d'Evian.
4 Le Courrier, 17 février 2003.


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