Des anti-G8 réfléchissent au syndicat pour changer le monde
Paru le : 24 mai 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_405.htmDÉBAT · L'Infokiosque a tenu une soirée de réflexion autour du syndicalisme pour lui faire retrouver la place subversive dans la société qui pourrait être la sienne.
MICHEL SCHWERI
Le « Lieu commun » installé au Parc des Bastions dans le cadre de la résistance à la réunion du G8 fait fonctionner les méninges. Mercredi soir, un débat/réflexion autour du syndicalisme y était organisé par les militants de l'Infokiosque - une sorte de centre de documentation multimédia et alternatif - afin de « mettre du concret » sur les « grandes idées » des opposants au G8. Vingt personnes y ont pris part durant trois heures, dans un intéressant mélange de quelques militants chevronnés des syndicats et d'une quinzaine de jeunes assez éloignés de ces « appareils de lutte pour la paix sociale ».
Ce thème a été retenu par les organisateurs car les « informations sur le travail et sur les conditions de travail manquent dans la mobilisation contre le G8 », a relevé un militant en introduction. Les « grandes idées » des altermondialistes n'incluent pas assez la réalité des entreprises et « de ce qui s'y passe ». Pourtant, a-t-il continué, les dirigeants du G8 « s'appuient sur leur appareil productif » pour gouverner et dominer le monde. Une raison amplement suffisante donc « pour voir comment tout cela fonctionne ». D'autant que le syndicalisme s'occupe traditionnellement des conflits économiques, mais devrait aussi s'intéresser aux « comportements des gens dans la vie de tous les jours » afin de regagner son rôle subversif, a-t-il conclu.
LA PRODUCTION CHANGE
Si le débat a immédiatement démarré sur les appareils syndicaux, il est vite revenu à l'essence du syndicalisme. Une analyse sociologique sommaire a même été tentée par quelques participants. Il en ressort pêle-mêle que le monde du travail change, les grandes entreprises ayant laissé place à de plus petites entités, que le nombre d'actifs diminue et que les processus de production individualisent les travailleurs en dissolvant la nécessité de collaborer entre eux. Plus fondamentalement, la part de la « valeur ajoutée immatérielle », brevets, recherches, marketing, etc., s'accroît dans les biens, a-t-il été avancé, réduisant d'autant le rôle central du producteur traditionnel, celui qui transforme les matières premières. Une décomposition/recomposition des classes sociales en découle, faisant perdre les repères utiles à l'appartenance syndicale.
Reste que le déséquilibre entre « ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas » perdure. Pourtant, a témoigné un militant français né en 1978, sa « génération de la crise » - « génération Mitterrand », qui plus est - a toujours vécu « sous la pression du chômage », lui rendant « inconcevable » l'idée même de « négocier son salaire » car les petits boulots, précaires, temporaires... font dorénavant partie des habitudes.
DISCOURS MENSONGERS
La discussion s'est ensuite orientée sur l'action syndicale directe, en évoquant les grèves dans un McDonald's à Paris, chez Orange et pour la retraite anticipée dans le bâtiment. Durant cent treize jours, les employés du McDonald's sur les Champs Elysées ont tenu bon contre le mensonge d'un « manager » qui a licencié six jeunes travailleurs car ils auraient prétendument piqué dans la caisse, alors qu'il s'agissait de six activistes qui se préparaient à la défense du personnel.
Cette lutte de « précaires », a raconté un militant, n'intéressait pas vraiment les syndicats, si ce n'est la CGT, qui a donné sa « couverture » légale au conflit. Malgré la « faible conscience » des grévistes, un « comité de soutien » a été mis en place pour mener une action publique par semaine et propager la lutte dans les restaurants du groupe. Par la suite, des blocages d'autres magasins de marques, tout particulièrement Virgin mégastore, ont fait tache d'huile et ont entraîné dans la lutte d'autres salariés précaires. Pour aboutir au succès.
La grève d'Orange à Bussigny a connu un autre parcours. Là, les employés n'étaient pas forcément « précaires », mais avaient été biberonnés avec une culture d'entreprise « à la californienne » et un « management à l'horizontale », a souligné un syndicaliste. Tout le monde faisait partie « de la grande famille », bénéficiant de cadeaux et autres largesses jusqu'au moment où les actionnaires ont voulu rentabiliser leurs mises, regrouper les services et alléger les effectifs. Les travailleurs se sont alors « sentis trahis ».
GRÈVES POUR LE RESPECT
Dans un premier temps, la lutte s'est développée de façon autonome, puis l'appareil syndical s'est imposé, via notamment le paiement de la lutte par le fonds de grève, largement sollicité, raconte le militant. Quand l'Etat de Vaud et le patron ont « torpillé le mouvement », le syndicat ne s'y est donc pas vraiment opposé.
Dans ces deux luttes, les sentiments d'« injustice » et de « trahison » ont motivé les salariés à réagir, en ont retenu les participants au débat. On est donc bien loin de la grève « pour vingt centimes d'augmentation ». Le nouveau paternalisme du « management à la pote » a ainsi trouvé sa limite lorsque « le capital et les intérêts des actionnaires » ont primé sur les discours. Déclenchant la « révolte » des employés.
Laquelle s'est « auto-organisée à la base », renouant avec un « syndicalisme d'assemblée », est-il ressorti en substance de la discussion collective. Les comités de grève et de soutien ad hoc restent donc toujours nécessaires pour « organiser sa défense par soi-même » et « ne pas déléguer à d'autres le soin de mener sa lutte », ont jugé les activistes réunis.
REFUSER LA VIOLENCE
La grève pour la retraite anticipée dans le bâtiment a aussi constitué une « formidable lutte pour la dignité », a-t-il été analysé, car les travailleurs se sont mobilisés pour préserver leur santé et leur qualité de vie et non pour quelques francs. Cette action a par ailleurs emporté l'adhésion d'une majorité de la population. Au Tessin par exemple, les manifestations comptaient plus de participants que le nombre total d'ouvriers du bâtiment.
Cette grève suscite d'ailleurs un bon espoir dans le syndicalisme, ont noté les jeunes militants de l'Infokiosque. Elle est en effet intervenue quelques années après le vote populaire ayant accepté la hausse de l'âge de la retraite des femmes, démontrant le fait que « si les intérêts de classe apparaissent clairement, le peuple se prononce autrement que lors de votations générales ». Elle confirme aussi le postulat de départ de la soirée, à savoir que « la société se façonne en grande partie dans le cadre du travail ».
Au travers des trois exemples décortiqués, il est apparu que le thème de la « violence au travail » est fortement mobilisateur. Laisser chaque individu seul face à ce problème produit des « gens cassés » par le mobbing et le burn out. En revanche, si les syndicats reprenaient ce sujet et ouvraient des « espaces pour répondre à cette violence », ils se remettraient en phase avec l'un des principaux soucis des travailleurs.
Il est ressorti, au terme du débat, que les syndicats pouvaient retrouver une jeunesse en se situant volontairement à la conjonction de plusieurs mouvements de fond dans et hors de la sphère du travail. A côté des luttes purement économiques, la défense de la santé et l'application des droits de la personne humaine dans les entreprises devaient prendre toute leur place. Ainsi, si la grève du McDonald's de Paris a été victorieuse, c'est parce qu'« elle permettait aux gens de réagir contre un symbole de la malbouffe et de la mondialisation en imposant les droits syndicaux ». C'est aussi cela, la globalisation...
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