Vendredi sans voitures dans une Genève calfeutrée
Paru le : 31 mai 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_441.htm« VILLE OUVERTE »· Désertée par de nombreux habitants, Genève était étrangement calme à deux jours de la manifestation anti-G8. Beaucoup de commerces ont choisi de se calfeutrer derrière des panneaux de bois... qui font le bonheur des taggers.
ATS/BPz
Deux jours avant la grande manifestation anti-G8, Genève voit jaune. Comme la couleur des panneaux de chantier qui recouvrent la devanture de nombreux commerces sur le parcours ou aux abords du défilé tant redouté, plongeant les passants dans un décor irréel.
De la gare Cornavin jusqu'à la frontière, les rues étaient étrangement calmes et désertées vendredi pour une belle journée de printemps. Elles offraient le triste visage d'une ville en état de siège aux appareils photos et aux caméras des touristes, mais aussi des très nombreux Genevois qui, éberlués de voir des quartiers entiers transformés en camps retranchés, immortalisaient la scène.
Dans les principales rues commerçantes de la rive gauche, situées près du point de départ de la manifestation de dimanche, de petites affiches frappées du mot « Ouvert », placardées sur les grandes planches de bois aggloméré, signalaient que l'activité continuait dans certains magasins aux vitrines devenues aveugles.
« LE BOIS ÇA BRÛLE »
« La vie continue », lit-on sur la devanture fortifiée du Bon Génie, qui a choisi la contre-attaque commerciale en offrant un rabais de 30% sur une grande partie de sa gamme de produits pendant le G8. Des enseignes symboles de mondialisation, comme celles des restaurants McDonald's qui seront fermés dimanche, ont été décrochées pour empêcher l'identification de l'arcade.
La palme de l'artère la mieux barricadée revient à la rue du Rhône, célèbre pour ses commerces de luxe, où la quasi-totalité des boutiques sont murées. Les logos des marques de luxe, fièrement affichés en haut des devantures pour appâter le chaland en temps normal, sont pudiquement masqués sous des bandes autocollantes.
« Genève riche rit jaune »; « Genève ville de paix? »; « Le bois ça brûle »; « Qui se cache à ce point doit cacher quelque chose » proclament les graffitis, ironiques ou menaçants, qui fleurissent nuit après nuit sur les barricades.
D'AUTRES RÉSISTENT
Mais tous les commerçants ne font pas le « pont » de l'Ascension. La plupart des cafés, des kiosques et des magasins demeurent ouverts, malgré le peu d'affluence. Et plus on s'éloigne du centre, plus la vie reprend le dessus. Beau temps oblige, les quais et les glaciers sont eux pris d'assaut comme à l'accoutumée.
Les commerçants qui ont renoncé à se retrancher, par idéalisme ou pour économiser des frais, barrent leur vitrine de grands drapeaux aux couleurs de l'arc-en-ciel « Pace », transformés en fétiches sensés protéger contre la prétendue furie des « casseurs ». D'autres, craintifs, ont entièrement vidé leur devanture, voire déménagé tout le stock de leur magasin en lieu sûr.
A Thônex, à quelques mètres du poste frontière de Moillesulaz où passeront les manifestants venus de France avant de rejoindre le défilé suisse, plusieurs épiceries et restaurants resteront ouverts le jour crucial. Un buraliste confie qu'il a même fait des stocks spéciaux de boissons en prévision du flot de manifestants assoiffés.
Autre discours chez le gérant d'un « 7/7 » qui a choisi de faire parler les planches. De caractère « très nerveux », admet-il, il préfère ne pas risquer de voir son échoppe dévalisée ou endommagée et éviter de chercher à se faire justice lui-même.
ÉCOLES DÉSERTES
Autre élément frappant, Genève a vécu une sorte de « dimanche sans voitures ». Beaucoup d'entreprises étant fermées pour un week-end prolongé, la circulation est restée étonnamment faible. Dans tous les quartiers, fait extraordinaire en dehors des grandes vacances d'été, les automobilistes trouvent sans problème une place de parc. Beaucoup d'habitants ont visiblement choisi de déserter la ville pour aller se mettre au vert. A témoin, les écoles étaient désertées vendredi, beaucoup de parents ayant demandé une dispense pour leurs enfants. Dans une école du quartier des Eaux-Vives, seuls deux enfants se sont présentés, sur la vingtaine que compte la classe. ATS/BPz
L'îlot de la rue des Savoises
Une petite rue, au coeur de Genève, fermée au trafic et pavoisée aux couleurs de la résistance altermondialiste, offre un réjouissant contraste à l'atmosphère oppressante qui s'est emparée de la Cité de Calvin à la veille des manifs anti-G8. C'est la rue des Savoises. Elle abrite la Maison des associations socio-politiques, devenue au fil des jours le centre de convergence de la plupart des mouvances altermondialistes. Des stands offrent nourritures et boissons, des haut-parleurs diffusent de la musique et une foule s'y presse quasiment 24 heures sur 24. C'est une ruche bourdonnante d'activité. Certains médias indépendants y ont pris leurs quartiers. Le Forum social lémanique loue l'ensemble des locaux depuis bientôt un mois et tient en ces lieux toutes ses conférences de presse, forums de discussion et débats. C'est là qu'on vient pour prendre « la température », comme le dit Dominique Hausser, président du PS genevois, venu humer l'air des Savoises. ATS/BPz
A cinq ans, la Critical Mass s'altermondialise
La « coïncidence cycliste » genevoise est entrée hier dans sa sixième année dans une forme exceptionnelle. Soleil et ambiance bon enfant ont fait de la manifestation « spontanée » un succès: à 18 h 30, le pont des Bergues était quasi plein de cyclistes, vite rejoints par quelques skateurs et de nombreux piétons, dont on ne voit qu'une moitié sur notre photo. Il faut dire que les circonstances étaient favorables à la mobilisation. Pas un agent de police ne s'est montré sur le parcours, tous certainement occupés à fouetter d'autres chats. Par ailleurs, la circulation était bien réduite en raison du pont de l'Ascension, détendant l'ambiance lors des inévitables rencontres entre deux et quatre roues. Celles-ci ont toutefois permis aux membres du « legal team » de se roder dans la médiation de conflits sans gravité. C'est ainsi que les manifestants ont pu déambuler sans grand souci, notamment sur le pont du Mont-Blanc - parcouru dans les deux sens! - et voir des autos de police traverser le pont des Bergues, habituellement cycliste, toute sirène hurlante. En soufflant calmement ses cinq bougies, la Critical Mass a donc fait la preuve de sa maturité. Car l'objectif plus ou moins avoué de la rencontre cycliste était bien de se rendre devant le bâtiment de l'Organisation mondiale du commerce pour lui contester, sur fond de G8, son ambition à régenter le monde et la vie des gens. Etant parvenu sans encombre devant les grilles du gendarme du commerce - recadenassées depuis le matin (lire en page 6) - le cortège y a fait une halte de quelques minutes, juste pour faire apparaître quelques agents caparaçonnés, puis s'est spontanément ébranlé en direction des Bastions aux cris de « On part tout seul »... TEXTE ET PHOTO MICHEL SCHWERI
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