La fête, malgré tout (commentaire)
Paru le : 2 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Commentaires/Com2003_080.htmBENITO PEREZ
De bout en bout, la mobilisation populaire d'opposition au G8 aura été parasitée par la « casse ». Durant les préparatifs d'abord, lorsque le débat sécuritaire a largement occulté les enjeux du « Sommet de la guerre » et des futures politiques néolibérales qui y sont agendées. Puis ce week-end, par la faute de quelques centaines d'adeptes du chaos, qui auront réussi l'« exploit » de réduire au quasi-silence public 100 000 manifestants! Car il est à craindre que pour l'immense majorité des habitants du bassin lémanique, cet anti-G8 restera dans les mémoires comme celui du verre brisé et des voitures endommagées.
C'est d'autant plus triste que la fête fut belle, malgré tout... Comme dans ces auditoires, ces parcs, ces tentes, tous bondés, où depuis vendredi, débats, rencontres et fêtes ont redonné vie à des cités fantômes. Ou comme ces « panneaux de la honte » qui ont recouvert nos villes, devenus au fil de la plume et du pinceau des dazibaos imaginatifs ou des espaces de liberté créative.
Remarquable également, le travail des milliers de bénévoles qui se sont dévoués corps et âme pour offrir un accueil digne de ce nom à leurs invités. Mais aussi pour alimenter ces réflexions citoyennes dont nous avons plus que jamais besoin.
Pour ceux qui ont connu ces moments magiques, le bruit des vitrines défoncées ne recouvrira pas leurs échos.
Pas plus qu'il ne doit masquer la fantastique mobilisation pacifique d'hier à Annemasse et à Genève. Par dizaines de milliers, des manifestants ont afflué de toute l'Europe pour s'opposer aux diktats des maîtres du monde autoproclamés. Enormément de Suisses également. Qui ont vaincu la trouille des violences pour exercer leur droit à la révolte et perpétuer l'esprit de la mobilisation contre la guerre en Irak. Avec une ardeur particulière, hier à l'aube, lorsqu'ils ont barré la route aux délégations se rendant à l'illégitime sommet. Résolus et pacifiques, malgré un climat de tension exacerbée.
Il n'en reste pas moins qu'il faut tirer un bilan politique sérieux des incidents de ce week-end. D'abord en les remettant à leur place. Des agités ont provoqué pour des centaines de milliers de francs de dégâts? Certes. Mais cela ne représente pas un millième des frais engagés pour divertir, loger, transporter, protéger, servir, nourrir... ces messieurs du G8!
Surtout, ce ne sont là que des objets. Jamais ils ne doivent masquer les milliards de victimes silencieuses que le capital transnational et ses instruments (OMC, FMI, G8, etc.) exploitent pour le seul profit de quelques privilégiés. Les vitrines cassées durant trois jours valent-elles tant d'apitoiement lorsque 250 000 personnes sont mortes de faim et d'injustice durant le même laps de temps?
Face à une telle catastrophe, le mouvement altermondialiste demeure encore bien démuni. Et on peut comprendre que face au mur auquel se heurte le mouvement, une frange, guidée par un impératif besoin d'action, choisira la méthode fruste et vaine de l'affrontement physique.
Mais si l'on peut « comprendre », on ne doit pas pour autant accepter cette dérive. Elle serait mortifère pour le mouvement. Surtout que ce phénomène est amplifié par l'action des groupes de provocateurs et de casseurs apolitiques attirés par le seul tumulte. Sans oublier les douteuses stratégies de la police et des médias... Dans ces conditions, inutile d'espérer transmettre un quelconque message audible pour le plus grand nombre...
Or, il faut le répéter sans cesse: la légitimité du mouvement est que son rêve d'un autre monde - plus solidaire et durable - répond à l'intérêt de l'immense majorité des habitants et futurs habitants de la planète. Sa force: c'est le nombre. Potentiel.
En misant sur la casse et en effrayant cette population que les autres essaient de rallier, cette infime frange des anti-G8 se met d'elle-même au ban du mouvement altermondialiste. A celui-ci d'en tirer toutes les conséquences...
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