Deux mille ans après César, les ponts ont été à nouveau coupés
Paru le : 2 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_446.htmGENÈVE · Le Forum social lémanique a empêché, dimanche matin, durant quatre heures, le passage d'une rive à l'autre du lac Léman et du Rhône afin de retarder les délégations officielles du G8.
MICHEL SCHWERI
Après les saccages de la nuit de samedi à dimanche au centre-ville (lire en page 4), l'opération de blocage des ponts genevois hier matin prenait l'allure d'un pari plus que risqué, dont les organisateurs du Forum social lémanique se sont finalement bien sortis. Cette action visait, de manière coordonnée entre Annemasse, Lausanne et Genève, à retarder l'ouverture du sommet du G8 à Evian, en empêchant physiquement la « logistique » administrative de rejoindre le lieu de la rencontre. L'opération consistait à isoler les deux rives afin de gêner le transbordement des « petites mains » du G8: secrétaires, traducteurs, etc. Symbolique à Genève - un peu moins à Lausanne et à Annemasse (lire ci-dessous et en page 3) - ce blocage n'en a pas moins été effectif sur les ponts de la ville, même si - ou parce que - aucune délégation n'est passée par là.
Fixé à cinq heures et demie devant l'Horloge fleurie, le rendez-vous pour boucler les ponts était cependant plombé par les événements de la nuit. Pour détendre l'ambiance, le camion des organisateurs diffusait de la musique classique, tandis que plus de cinq cents personnes s'installaient sur le pont du Mont-Blanc, le barrait d'un bus et de banderoles pour en empêcher le franchissement. Un peu toutes les langues se mélangeaient dans l'air encore frais; des pancartes au contenu divers (pour la paix en Palestine, contre la guerre en Irak, par exemple) s'affichaient, alors que quelques policiers en civil se tenaient à distance du rassemblement.
TPG AU DÉPÔT
Très rapidement, les automobilistes matinaux ont compris l'impossibilité de passer et, bientôt, se détournaient tout seuls vers d'autres points de passage d'une rive à l'autre. L'arrivée de thé, de soupe et de pain a parachevé l'installation des manifestants sur le pont, où certains se sont couchés pour terminer leur nuit... Tranquillement, l'effectif des contestataires s'est étoffé. Dès 6 h, des groupes de militants se sont alors réparti la charge de verrouiller les autres ponts de la ville.
Celui des Bergues a vite été bouclé par quelques barrières et containers retournés. Plus importants, les ponts de l'Île ont été physiquement bloqués par une bonne centaine de personnes qui ont érigé un barrage constitué de containers à poubelles, de panneaux de publicité et de palissades. Son efficacité était telle que les Transports publics genevois ont préféré rappeler au dépôt tous leurs bus déjà en route. Les « bloqueurs » des ponts ont tenu durant quatre heures, malgré la présence immédiate d'importants cordons policiers empêchant l'entrée dans les rues basses et du Rhône.
QUAND LE PEUPLE S'ÉVEILLE...
Sur le pont de la Coulouvrenière, l'ambiance était plus chaude. Des pots de fleurs avaient été poétiquement placés au milieu du boulevard Georges-Favon, mais entre cent et deux cents manifestants germanophones, dont quelques dizaines cagoulés, l'ont aussi barré de deux importantes barricades enflammées faites de containers de récupération de verre, de palissades arrachées aux commerces du coin, de matelas et de bancs publics. Tout cela sous la désapprobation quasi générale des badauds - attirés par la fumée noirâtre s'élevant du lieu - et des manifestants se rendant au Jardin anglais pour participer à la grande manifestation contre le G8. La tension perceptible sur ce pont vers 8 h 30-9 h s'amenuisait d'ailleurs nettement à mesure que les gens du quartier garnissaient les abords, engendrant une « pression populaire » sur les occupants de l'ouvrage.
D'abord humain et filtrant, le barrage sur le pont de Sous-Terre laissait passer les particuliers, mais retenait les berlines et les corps diplomatiques dans une ambiance bon enfant. Cependant, après un début de bagarre avec deux conducteurs éméchés, une barricade a été installée, empêchant toute traversée. Un même dispositif a vu le jour sur le pont Butin. Les deux rives genevoises étaient dès lors entièrement isolées au bout du lac, à moins d'utiliser l'autoroute de contournement, ce qui a énervé quelques automobilistes. Tous les barrages ont été levés vers 9 h 50 afin de rejoindre la manifestation principale au Jardin anglais. Laissant alors la place aux balayeurs et aux balayeuses de la voirie...
2000 empêcheurs de G8 sur la route d'Evian
Levé très matinal pour 2000 campeurs des deux villages alternatifs basés près de l'aérodrome d'Annemasse. Le réveil a été d'autant plus rude après le concert de la veille, qui réunissait les deux icônes Manu Chao et Tiken Jah Fakoly.
Mais c'est déterminés que les manifestants s'engagent peu avant 5 h sur la route nationale. Direction Evian! En tout cas aussi loin que le tentaculaire dispositif de sécurité le permettra. La foule progresse rapidement et sans encombre. Ici et là on se prépare au « contact »: Certains notent sur l'un de leurs bras le numéro de la permanence juridique, d'autres emportent de quoi dresser des barricades.
Car il s'agit bien de bloquer le chemin du Sommet aux « suppôts du G8 », comme nous l'explique un militant. A 30 kilomètres d'Evian en pleine rase campagne, les forces de l'ordre sont en vue. Le cortège hésite. Ce qui n'est pas le cas de ceux qui n'attendaient que cela. La compagnie de CRS, elle, indique clairement qu'on n'ira pas plus loin: Il commence à pleuvoir des projectiles lacrymogènes.
L'averse, ponctuée de bombes assourdissantes, ne cessera pas. Pour le grand bonheur des quelques dizaines de lanceurs de pierres qui joueront au chat et à la souris avec la police. Derrière eux, on installe une barricade enflammée. Le blocage de la nationale est ainsi effectif.
Et efficace? « Il est encore trop tôt pour le dire », souffle Alexandre, du réseau « G8 illégal ». Pas forcément, puisqu'on annonce que les blocages ont retardé le début des discussions entre les grands de ce monde. L'information ne sera pas confirmée. Qu'importe, les manifestants exultent. Efficace ou non, « cette action est notre contribution pour montrer que les Huit avec leurs politiques destructrices ne sont pas les bienvenus », souligne le Désobéissant1 Nicolas.
« FÊTE AU LIEU DE VIOLENCE »
En attendant, le stock de lacrymogènes - qu'on imagine bien garni - baisse. Les manifestants refluent et avancent au gré des gaz. Et au son du tambour d'une compagnie de carnaval toute de rose vêtue. « La fête, plutôt que la violence est la meilleure manière d'impliquer les gens », résume Rox, venue de Turin. La grande majorité du cortège ne la démentirait pas.
A l'arrière, les délégués des différents quartiers des deux villages alternatifs parlementent. Car il est déjà presque 9 h et il faut retourner à l'aérodrome pour le départ de la manifestation transfrontalière. SPe
1 Mouvement italien prônant la résistance passive.
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