Lula, porte-voix des exclus, sur les deux rives du Léman (03/06/2003)
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Après Evian, le président brésilien poursuit sa croisade contre la faim à Genève.

CLAUDINE GIROD

Un état de grâce qui n'en finit pas... Le nouveau président brésilien dribble sur la scène internationale. Du Forum économique de Davos en janvier, au G8 d'Evian ce dimanche, Luis Inácio Lula da Silva enchaîne les premières fois. Sans complexe. L'ancien métallo syndicaliste, investi avec l'an neuf à la charge suprême, se taille un costume de chef d'Etat incontournable. L'accueil réservé au nouveau champion des pays du Sud, hier, à Genève, au siège de l'Organisation internationale du travail (OIT), à la veille de sa 91e conférence, en témoigne. Récit.

Dans une ruche bruissante de sons lusophones aux accents langoureux, le petit homme barbu fait une entrée ovationnée. Costume sable, cravate rayée et large sourire. Un petit signe à l'adresse du public et les applaudissements repartent de plus belle. Le public est acquis à la cause avant même que Lula n'ouvre la bouche. Son appel solennel dominical, sur l'autre rive du Léman, devant le G21 (notre édition de lundi), a définitivement conquis.

Du rêve à la réalité

A l'OIT comme à Evian, le septième enfant d'une famille de paysans pauvres va livrer un message phare: la lutte contre la faim doit être "globale". "Les ressources existent mais il faut mobiliser les Gouvernements et le privé."

Le gosse qui vendait du tapioca et des oranges s'est donné quatre ans pour éradiquer ce fléau. Le temps d'un mandat. "La grande tâche d'un dirigeant politique est de faire ce à quoi il croit pendant sa campagne. Même si je sais que nous manquerons de temps, j'accomplirai une bonne partie des rêves que j'ai nourris toute ma vie", glisse-t-il.

Invité au "dialogue élargi", Lula n'a pas renoncé à proposer au G8 un Fonds mondial contre la faim en taxant les ventes d'armes ou en utilisant le remboursement de la dette des pays pauvres. Un principe que le président français a qualifié de "pas du tout injustifié". De là à conclure que Jacques Chirac le défendra, il y a un abîme que le lobby militaro-industriel de l'Hexagone ne laissera pas franchir sans guerroyer...

Convictions

Au Brésil, "parce que l'alimentation est un droit inaliénable du citoyen", le programme Faim zéro a débuté en mars dans deux communes tests de l'Etat nordestin du pays. Une carte de crédit donnant droit à 50reals mensuels de nourriture est attribuée aux familles dont les revenus inférieurs à 90reals mensuels. Des comités de gestion recensent les bénéficiaires et contrôlent l'utilisation des fonds.

Le gamin qui cirait des chaussures ne cache pas son émotion devant le symbole que représente l'OIT, organisation tripartite formée de Gouvernements, de syndicats et d'employeurs. "Ce n'est pas par hasard que je prononce ici mon premier discours devant une organisation internationale", assure-t-il. Lui, l'ouvrier qui a "connu des conditions de travail très éloignées des normes élaborées par l'OIT". Lui, le syndicaliste qui a vécu "les restrictions aux libertés". Lui, le président du Nouveau Brésil qui veut croire "sans paraître naïf" à la "prise de conscience des dirigeants du monde en vue de travailler à un nouveau modèle".

Accord avec l'OIT

Programmes "premier emploi", "Genre et race" "Avec 76millions d'Afrodescendants, le Brésil est la plus grande Nation noire après le Nigeria. Nous avons un engagement politique et moral avec l'Afrique", insiste-t-il , lutte contre le travail des enfants, contre le travail forcé, Lula multiplie les initiatives. "Il n'y a pas de développement économique sans justice sociale", assène-t-il. Intolérables que ces "îles d'abondance" qui narguent des "océans de pénurie". "Les bénéfices de la mondialisation ne sont obtenus que par une infime minorité."

"Des mesures d'urgence et des solutions structurelles s'imposent." C'est dans ce sens que s'inscrit la signature hier entre l'OIT et le Brésil d'un protocole de coopération pour promouvoir le "travail décent". Ce programme prévoit la création d'emplois, notamment pour les jeunes, de microcrédits et de systèmes améliorés de sécurité sociale.

Mais le fondateur du parti des travailleurs en appelle à "toutes les bonnes volontés". A la responsabilité des syndicats comme au système onusien. Un travail de Sisyphe...


Un métallurgiste dans un gant de velours

ANTOINE MAURICE

Lula arrive devant le bâtiment de l'Organisation internationale du travail (OIT) en grand apparat. Nombre de collaborateurs de l'immense caravansérail onusien sont descendus de la ruche pour le voir débarquer des limousines avec son entourage de ministres et un aide de camp. Le bonhomme est tout sourire, il rappelle Walesa l'autre grand du syndicalisme ouvrier arrivant dans ce même OIT, en 1981. C'était encore l'ancien bâtiment de la rue de Lausanne.

Il n'y a pas chez Lula de magnétisme présidentiel. Chez ce grand pourfendeur de dictatures, l'affabilité prime, à la limite du rondouillard. Le regard vibre de curiosité. Le bras et la main palpent les coudes et auscultent les dos de ceux qui le saluent, comme on le fait au Brésil. "L'abraço" est, selon la légende, une façon de contrôler si l'interlocuteur est armé. Le président du Brésil est plein d'optimisme: la globalisation ira mieux et la planète aussi. Et le Brésil surtout, où cet ancien ouvrier métallurgiste successivement créateur de syndicat puis de parti (le PT) joue depuis quelques mois un rôle démiurgique. Il porte la marque de l'ouvrier, de l'homo faber: "Quand nous le laisserons dans quatre ans, le Brésil ne sera plus le même (...) J'ai continué à vouloir devenir président malgré trois échecs successifs pour une chose: réaliser ce que comme syndicaliste j'avais désiré."

Il lit avec une certaine application un discours préparé par ses collaborateurs qui détaille son plan d'action pour un Brésil champion du monde de l'inégalité sociale. Mais il avoue avec une pointe de regret que, s'il se laissait aller à son éloquence habituelle, il n'en finirait jamais. Lula se sait un personnage historique qui s'est glissé à la tête d'un des plus grands pays du monde entre le 11 septembre 2001 et la guerre d'Irak. Il n'y avait pas de place toute faite pour le Brésil dans le calendrier international, mais il est en train de la fabriquer sans répit.

En bon Brésilien, comme certains de ses compatriotes sportifs, il porte un prénom diminutif pour toute identité. Proche des gens et d'une modestie expansive, plongé dans l'imaginaire utopiste, il garde les pieds sur terre lorsqu'il s'agit de se faire entendre politiquement. La vague montante de sa popularité internationale vient de cette accessibilité. Lula se veut en effet l'homme des dialogues et des opportunités, le commensal de Chirac et de Bush. Il y avait une opportunité à saisir à Evian en faveur de son message de justice sociale; il l'a saisie. Il la saisit derechef en signant hier avec l'OIT un accord de collaboration technique.


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