Les multinationales bradent les prestations sociales
Paru le : 3 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_454.htmCONFÉRENCE · Débats en marge du G8. Dans leur logique néolibérale, les puissances s'attaquent aux acquis sociaux.
THIERRY BORNAND
La chute du mur de Berlin ne marquerait pas la fin de la guerre froide. A partir de 1981, le président des Etats-Unis, Ronald Reagan, lance un nouveau mode de financement de son armement avec le recours en masse d'emprunts à l'étranger. Dans la course aux armements que se livrent encore Union soviétique et Etats-Unis, le bloc soviétique ne peut recourir à de tels moyens. Avantage dont va désormais profiter l'administration américaine. « La guerre froide prend fin à partir de cette période », explique Roberto Romero, professeur à l'Institut d'études européennes de Paris. Dès lors, commence la période historique dans laquelle nous nous trouvons.
Lors d'une conférence qui s'est déroulée à Lausanne, samedi dernier, l'académicien a livré quelques pistes pour comprendre les enjeux politiques du G8. Plus aucune chaise n'était libre à la salle des Vignerons de la gare pour suivre ces débats auxquels syndicalistes, académiciens et militants participaient. Le forum était organisé par la Communauté de travail des oeuvres d'entraide, la Déclaration de Berne et le Parti socialiste vaudois.
La rencontre, en 1985, entre Reagan et Gorbatchev offre un nouveau signe de la fin de la guerre froide et du début de la période actuelle. C'est lors de cette rencontre que le premier homme du Kremlin, ne pouvant rivaliser avec la puissance américaine, accepte implicitement sa défaite, développe Roberto Romero.
PLUS DE COMPROMIS
A partir de cette période, nous entrons dans « une nouvelle période du capitalisme qui marque la fin du compromis social démocrate », explique-t-il. Les Etats-Unis vont s'opposer à toute régulation qui va à l'encontre des lobby américains. Lors du G8 de 1985, les Etats-Unis informent le reste du monde que le dollar a atteint un taux de change trop élevé par rapport aux autres monnaies. Contrairement aux dogmes libéraux, souligne Roberto Romero, c'est l'intervention de son gouvernement qui permet, entre 1985 et 1987, d'atteindre un taux à nouveau plus propice aux exportations américaines.
RESPONSABILITÉ SOCIALE
Dès lors, le projet politique américain ne semble répondre qu'à un seul mot d'ordre: casser tout organisme réglementaire qui va à l'encontre des lobbies américains. Avec l'OMC, ils libéralisent le secteur des services, domaine à haute valeur ajoutée contre lequel les pays en voie de développement n'ont aucune chance de rivaliser. Ils mettent en place des règles au sein de l'OMC afin de libéraliser l'ensemble des secteurs qui ne sont pas liés à l'Etat. Et l'académicien se permet d'ironiser en remarquant qu'il ne reste plus alors que la police et le secteur judiciaire qui ne sont pas touchés.
A la suite de cette présentation, un débat traitait des différents moyens d'intervention sur les multinationales afin qu'elles adoptent une responsabilité sociale. « Les transnationales se livrent à une guerre économique entre elles, par la pression des actionnaires », explique Michel Egger, membre de la Communauté de travail des oeuvres d'entraide. Une guerre qu'elles cherchent souvent à gagner en diminuant leurs charges. « De sorte qu'elles jouent avec les différents standards sociaux des pays pour se permettre ailleurs ce qu'elles n'osent ici. » Dans ce climat, les pays devraient intervenir pour régulariser. Mais ils préfèrent lâcher des concessions pour attirer ces transnationales.
Les moyens de faire pression sur elles peuvent prendre plusieurs formes. Il existe les fonds de pensions « éthiques ». A cela s'ajoutent les codes de conduites que peuvent ratifier les firmes sous la pression des consommateurs. Pourtant, à ses initiatives coup par coup, une régulation internationale serait préférable. Comme celle que projette une commission des Nations Unies.
Insécurité sanitaire
Beaucoup de débats tenus à Annemasse ont eu une teinte tricolore prononcée. Ainsi le Forum « santé et mondialistation » organisé le 30 mai par le Collectif haut-savoyard de résistance au G8.
Le débat rassemblait essentiellement des mutuellistes et des médecins. Tous ont relevé que le Nord est lui-aussi de plus en plus menacé par l'insécurité sanitaire. La France, notamment, qui vit une réforme basée sur « une logique perverse » qui fait du financement et non des besoins de la population la base toute action. Gilles Langeard, président de l'Union des Mutuelles, est catégorique: « On assiste aujourd'hui à un démantèlement de la politique sociale mise en oeuvre. » Présenté comme une simple réforme du système, celle-ci est biaisée. A la base des arguments: le déficit de la Sécurité sociale serait lié uniquement à la croissance des dépenses et non à la diminution des recettes.
Certaines réformes, selon Patrick Lemettre, médecin généraliste et syndicaliste, sont pourtant indispensables. Pourquoi? Le système actuel souffre de l'absence totale de coordination des soins autour des patients, d'un consummérisme excessif, et du manque de coresponsabilité des soins entre médecin et patient. Révélateur: à la question posée à la cinquantaine de participants « qui possède un carnet de santé et qui l'utilise? », seules 4 ou 5 personnes répondent par l'affirmative.
La France dépense 9 à 10% de son PIB en frais de santé. Si la nouvelle politique ne vise pas à réduire ces dépenses, elle tend en revanche à diminuer la part prise en charge par la Sécurité sociale, obligeant ainsi les ménages à assumer toujours plus de frais. Conséquences: une inégalité croissante de l'accès aux soins.
Illustration de la marchandisation du secteur santé: les mutuelles sont de plus en plus en difficulté. Des directives européennes vieilles de quinze ans, mais transposées en loi française en 2001, ouvrent les mutuelles à la concurrence, en les obligeant à s'aligner les méthodes de gestion du privé.
Si le gouvernement actuel prétend lutter contre l'insécurité, le paradoxe est qu'il augmente l'insécurité sanitaire. Et la santé n'est pas le seul secteur touché: les retraites et l'éducation étant aujourd'hui au centre du débat.
REBECCA NORTON/ATTAC
Les conseils des sages
A l'initiative de l'ex-premier ministre français Michel Rocard, un « Conseil des sages » s'est réuni samedi à Genève pour lancer un appel à la responsabilité des dirigeants du G8. L'ex-conseillère fédérale Ruth Dreifuss y a apporté son soutien. Dans une lettre adressée au secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, sous la forme d'une « déclaration d'interdépendance », l'association demande le renforcement de l'ONU pour lutter contre les « menaces graves » qui pèsent sur le monde: déséquilibre Nord-Sud, terrorisme, dégradation de l'environnement, dilution des responsabilités. « L'Association pour le collegium international éthique, politique et scientifique » regroupe une cinquantaine de personnalités, parmi lesquelles l'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, les anciens présidents indonésien Jusuf Habibie, du Mali Alpha Oumar Konaré, de Slovénie Milan Kucan et du Costa Rica Arias Sanchez
L'on y retrouve aussi les philosophes Henri Atlan, Jürgen Habermas, Edgar Morin, les prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen, les ex-Haut Commissaires de l'ONU aux réfugiés Sadako Ogata et aux droits de l'homme Mary Robinson. Cette association veut jouer un rôle de veille, d'alerte, de dialogue et de conseil auprès des gouvernements et des organisations internationales. Elle se propose de protéger les « biens publics mondiaux » (eau potable, ressources énergétiques, accès aux connaissances, ressources alimentaires), de développer la démocratie au niveau international, de garantir les droits économiques et sociaux. L'OMC, le FMI et la Banque mondiale devraient ainsi respecter les pactes de l'ONU sur les droits de l'homme, les conventions du BIT sur les droits sociaux et les conventions internationales sur l'environnement, selon l'association basée à Paris. ATS
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