Le Conseil d'Etat fait la chasse aux manifestants
Paru le : 4 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_468.htm

GENÈVE · Malgré l'interdiction du gouvernement, des centaines de personnes ont manifesté pacifiquement hier pour réclamer la démission de Mme Spoerri. Arrestations et matraquages.

BENITO PEREZ/ VIRGINIE POYETTON

La police a mené hier en fin d'après-midi une véritable chasse aux manifestants qui réclamaient la démission de Micheline Spoerri. Peu avant, le Conseil d'Etat avait interdit tout rassemblement sur le territoire genevois. Quelques centaines de personnes ont toutefois passé outre le diktat, et ce durant plus de trois heures. Au bilan, on compte au 34 interpellés, dont deux ont été mis en état d'arrestation, ainsi que des dizaines de blessés légers.

Comme la veille, les protestataires se sont réunis aux alentours de 18 h 15 sur la place Neuve. Mais il ne s'agit plus, cette fois, de dénoncer la répression policière de dimanche. Les quelque 300 manifestants réclament directement la responsable du Département de justice et police.

« TOUS À LA TÉLÉVISION! »

Un tract blanc circule dénonçant l'« incompétence » manifestée par la police, notamment la veille, lorsqu'elle a encerclé des manifestants pacifiques, une stratégie visant à « provoquer la confrontation » et ainsi « justifier le dispositif sécuritaire ». En outre, le papillon accuse des « milices policières cagoulées » d'avoir attaqué l'Usine. Plus politique, un second tract rose dénonce les tentatives de Mme Spoerri de criminaliser le Forum social lémanique.

Vers 18 h 30, un jeune militant annonce que la cheffe de la Police doit passer une heure plus tard à la TSR. Les manifestants décident de s'y rendre en cortège et prennent la direction du rond-point de Plainpalais.

Discrètes jusqu'alors, les forces de l'ordre arrivent en nombre et bouclent le rond-point. Résistant au mouvement de panique, une centaine de manifestants s'asseyent et lèvent les bras en signe d'apaisement. Aucune cagoule dans la foule, aucun signe d'agressivité. Rien n'y fait. « Le Conseil d'Etat a interdit tout rassemblement », hurle le haut-parleur policier. Après la sommation d'usage, la police charge, les coups de matraque pleuvent.

Une partie des manifestants fuient vers Uni-Bastions, les autres courent vers la plaine. Direction la tour TV. Mais la police a senti le vent tourner. Par fourgons entiers, ils contournent la plaine. La chasse aux manifestants est ouverte.

« BLACK BLOCS » DE L'ORDRE

A l'angle Mail-Ecole-de-Médecine, plusieurs véhicules banalisés arrivent en trombe et déversent des flics déguisés en « black blocs ». Un jeune homme est rudoyé par un agent, puis embarqué. Une équipe de la TSR, qui tente de s'approcher, est violemment repoussée par un policier en civil, le caméraman tombe à la renverse, sous les huées des badauds: « Et la liberté de la presse?! » crie un Espagnol de sa terrasse de bistrot.

Des groupes de manifestants sont toutefois parvenus près de la tour TV. Des passants les ont rejoint. Les slogans fusent: « Spoerri démission! », est de loin le plus scandé. La plupart des policiers en tenue gardent leur calme, malgré les insultes qui fusent aux fenêtres. Plus nerveux, des Black Blocs de l'ordre notent les adresses des crieurs... Pis, une voiture banalisée s'emmêle dans ses manoeuvres, manquant de renverser un piéton et une moto d'un membre du Legal Team.

Une nouvelle fois, les policiers chargent l'attroupement qui reflue vers la Jonction. Immanquablement, le même scénario se répète, avec, à la clé, des dizaines de contrôles d'identité. D'autres ont moins de chance. Ainsi deux jeunes plaqués à terre et embarqués. La confusion règne dans le quartier en état de siège. On apprendra plus tard que Micheline Spoerri a dû retarder son intervention télévisée et se rendre en véhicule policier banalisé à la TSR.

BRUTALITÉS ET HUMILIATIONS

Vers 19 h 15, un gros attroupement de manifestants et de badauds s'est reformé près de l'ancien Hôtel de Police. Plus de trois cents personnes font face à un cordon de policiers. Les slogans redoublent. Avant qu'une nouvelle charge, extrêmement violente, fasse reculer la foule. Plusieurs personnes sont matraquées, dont un caméraman indépendant, qui s'écroule, frappé derrière les jambes alors qu'il s'enfuyait. Un policier reste aussi à terre. Il a trébuché contre le trottoir durant la charge et a l'air sérieusement touché.

La seconde charge se fera aux bombes lacrymogènes et balles en caoutchouc. Les lances à eau entrent aussi en action. Il est 19 h 45, cette fois-ci, la manifestation semble vraiment dispersée. De petits groupes sont encore visibles, dont l'un à la rue des Rois. Les gens s'échangent les témoignages. Plusieurs font référence à des tabassages en règle.

Un peu plus loin, à Bel-Air, cinq jeunes sont arrêtés, aux alentours de 20 h 30, mis à genou, leur t-shirt sur la tête. A Plainpalais, où ne restent pratiquement plus que des badauds, neuf jeunes sont interpellés, deux seront arrêtés. Il est 21 h 30, un calme tendu règne de nouveau sur le centre-ville.

En fin de soirée, la police ne signalait aucune déprédation et ne pouvait communiquer les motifs des arrestations. Par ailleurs, les forces de l'ordre comptent un blessé léger à l'arcade sourcilière et un autre plus gravement atteint au genou, lors d'une chute.


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