G8: quand le vandalisme devient du spectacle (05/06/2003)
http://www.tribune.ch/accueil/dossiers/titre_dossier/article/index.php?Page_ID=5340&article_ID=16610Les échauffourées ont attiré beaucoup de badauds. Un phénomène sociologique préoccupant.
FABRICE BREITHAUPT
Trois jours durant, Genève et Lausanne ont été le théâtre d'échauffourées entre, d'un côté, les manifestants altermondialistes opposés à la tenue du Sommet international d'Evian ou les casseurs; et, de l'autre, les policiers antiémeute.
"Les jeux du cirque"
Au milieu, pour ainsi dire (en fait aux abords immédiats), se tenaient de simples badauds, voire des touristes, venus assister et, pour certains d'entre eux, prendre des photos ou faire des films, de ce qui constituait pour eux un véritable "spectacle".
"Les badauds étaient tout près des lieux des échauffourées. Certains en mules, lunettes de soleil et/ou minijupes, au mépris des risques qu'ils encouraient. Ils regardaient les heurts entre manifestants et policiers, un peu comme s'ils étaient aux jeux du cirque", se souvient Joël Boissard, journaliste à TV Léman Bleu. Qui confie: "J'ai de la peine à comprendre que l'on puisse venir voir ça pour s'amuser." Et pourtant.
Femmes en extase
"L'ambiance dans les rues était festive. Les gens étaient excités. Tout le monde attendait de voir les policiers charger. On cherchait à se faire peur, à faire monter son taux d'adrénaline et à trouver le grand frisson", raconte ainsi Olivier, habitant de Plainpalais. Reconnaissant "un côté voyeuriste", celui-ci témoigne aussi d'une certaine fascination: "Il y avait un côté esthétique. Les lumières des girophares des véhicules de police faisaient scintiller sur le trottoir les débris de verre des vitrines de magasins cassées. Les feux qui brûlaient dégageaient une fumée qui recouvrait les environs d'un épais brouillard. Et puis, la charge des policiers allemands, en tenue de Robocop, c'était impressionnant. Je me rappelle encore de ces femmes à côté de moi, qui les trouvaient beaux et virils dans leur armure..."
"Comportement irresponsable"
Consternant? Sidérant? Préoccupant, répondent les spécialistes. "Une intervention en milieu urbain est très difficile", explique Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police cantonale vaudoise. "Elle menace les spectateurs. D'autant plus que que ceux qui observaient les manifestations ont souvent eu un comportement irresponsable. Certains se tenaient avec des enfants en bas âge à proximité de barricades en feu", constate-t-il. Avant de déplorer les problèmes d'intervention que lesdits comportements ont posé à la police: "Les casseurs profitaient de se camoufler parmi les badauds."
"Ce phénomène n'est en rien nouveau. De manière générale, toute manifestation ayant un peu d'ampleur entraîne dans son sillage ce que l'on appelle une nébuleuse, laquelle se répartit en avant des cortèges et sur les trottoirs", souligne Olivier Fillieule, sociologue à l'Université de Lausanne. Qui nuance: "Dans le cas présent, on peut avancer deux explications au moins du grand nombre de spectateurs: d'abord, la rareté de ce type de manifestation dans le contexte local; ensuite, la couverture médiatique du G8, laquelle, par la chronique des violences annoncées qu'elle a proposée pendant des semaines, a contribué à susciter la curiosité et à entretenir l'excitation."
L'impact des médias
Professionnel de l'image et de ses effets, Alphonse Garcia, patron de l'agence de publicité Rive Gauche à Genève, partage cette analyse: "Le matraquage médiatique a fait monter la mayonnaise. Résultat: les gens étaient en attente de l'événement. Et lorsqu'il s'est produit, beaucoup ont voulu le vivre en live pour pouvoir dire: "J'y étais." Ils sont donc passés de l'autre côté de l'écran."
Joël Boissard confirme. "Les badauds sont ainsi passés du stade de téléspectateurs à celui de spectateurs, voire à celui d'acteurs." Certains ne se sont en effet pas contentés d'assister au "spectale", mais ont notamment participé au pillage des commerces. Et Olivier d'abonder: "Pour moi et les amis qui m'accompagnaient, et qui sommes fans de télé-réalité, nous étions des autres, et ailleurs, comme dans un film." Un "film" pour lequel beaucoup espèrent aujourd'hui que l'arc lémanique ne reservira pas de décor à un remake...
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