Les casseurs brisent les rangs de la gauche (07/06/2003)
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« Je ne vois pas ce que l'on peut objecter à l'interdiction de la cagoule »

PHILIPPE RODRIK

Les casseurs brisent les rangs de la gauche. De part en part! Ils déstabilisent des partis et des associations de toutes sortes, en leur imposant ces terribles questions: devons-nous dénoncer les actes de vandalisme? Devons-nous accepter des contrôles de police? Devons-nous même collaborer certains jours ce mot semble redevenir tabou avec les forces de l'ordre?

Au cours des cinq dernières années, malgré l'essor du phénomène "Bloc Noir" et le traumatisme de Gêne, les partis de gauche semblaient esquiver la responsabilité d'apporter des réponses. Entre Genève et Lausanne, des organisateurs de manifs comme Aristide Pedraza ou Olivier de Marcellus restaient fidèles à leurs priorités: dénoncer les bavures policières, revendiquer la liberté de s'exprimer et de manifester.

A Zurich, le porte-parole et le leader de l'Alliance d'Olten et conseiller communal du Parti du travail, Walter Angst, assumait tout à fait la présence de casseurs dans les manifs: "Je ne me distancie pas des personnes et des mouvements qui démolissent des vitrines, comme celles du MacDonald's en janvier 2000 à Davos."

Le Forum économique de Davos se révèle d'ailleurs chaque année un baromètre déterminant. Lors de sa dernière édition, et des intenses débordements du 25janvier à Berne, les divisions se sont encore accentuées au sein de la gauche. Avant la manif contre le WEF, des militants et des élus ont accepté les contrôles de police au check point de Fideris. L'Alliance d'Olten les a refusés. Faisant partie du premier groupe, la présidente du Parti socialiste, Christiane Brunner, a dénoncé "la tactique d'obstruction" du second. Son camarade conseiller national Nils de Dardel déplorait en revanche que son propre parti tolère ce genre de contrôle.

Deux jours après les événements bernois, l'Oltner Bündnis paraissait proche de l'éclatement. Au sein du comité, la ligne "Angst", si peu encline à condamner les vandales "autonomes", s'était fragilisée. La conseillère nationale Verte Pia Hollenstein a tenu à se distancer publiquement des violences. Et la veille du 1ermai, à Zurich, Walter Angst a lui-même complètement réorienté son discours. Dans une lettre ouverte, il s'est en effet désolidarisé des "Revolutionären Aufbau Zürich". Il refusait ainsi que "sa" manif officielle ne couvre une nouvelle fois les opérations destructrices de la "Nachdemo", encore en bonne partie pilotées cette année par le plus célèbre élément des "Bocs Noirs" suisses, MmeAndrea Stauffacher, aujourd'hui âgée de 53 ans.

Ce revirement a suscité de nouveaux comportements. Sans prendre de risques inconsidérés, des manifestants se sont efforcés, physiquement et au mégaphone, de dissuader les saccages et les affrontements avec les forces de l'ordre. L'expérience s'est révélée un succès. Dans l'après-midi, Andrea Stauffacher a même ordonné à ses sbires de renoncer à attaquer la Chambre de commerce américano-suisse.

Mais la turbulente quinquagénaire se montre toujours très politique, quasiment transparente dans le choix de ses objectifs. La majorité de ses disciples se révèle en revanche moins prévisibles, plus destructeurs, voire pilleurs. A Genève, les organisateurs des manifs altermondialistes ne s'y sont pas préparés. Dans Le Temps d'hier, le conseiller national Vert Fernand Cuche les poussait à revoir leurs idéaux: "Il faudra bien que les organisateurs de grandes manifestations apprennent à rejeter a priori toute forme de violence et à dire, sans ambiguïté, qu'il n'y pas de place pour les casseurs. Et qu'ils s'en donnent les moyens en se dotant de services d'ordre performants, en acceptant des policiers en civil à leurs côtés et, de manière plus générale, en collaborant véritablement avec la police."

Le paysan se permet de surcroît de faire voler en éclat ce minimum d'entente à gauche sur les gaffes dans le commandement de la police genevoise. Il approuve le principe du contrôle d'identité préventif, tel qu'il fut demandé par la maréchaussée sur le pont du Mont-Blanc, lundi soir, puis refusé par les manifestants. "Je ne vois pas non plus ce que l'on peut objecter à l'interdiction de porter une cagoule. Les manifestants pacifiques n'ont rien à cacher", estime Fernand Cuche.

Décidément, le thème des casseurs déchire la gauche. Avant-hier, à Genève, Eric Decarro, membre du comité du Forum social lémanique et, accessoirement, président du Syndicat suisse des services publics, appelait à une nouvelle manifestation vendredi soir: "Nous voulons clore le chapitre du G8 la tête haute. Il s'agit de dénoncer la violence policière, l'état d'exception qui interdit toute manifestation et de défendre le droit d'expression." Divers alliés, comme le maire de Genève Christian Ferrazino, ont ensuite encouragé Eric Decarro à renoncer. Le magistrat de l'Alliance de gauche préconise en outre à l'avenir des collaborations sur le terrain même des manifs, entre les responsables de mouvements altermondialistes et la police.


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