N'étant adhérant à aucune association ou parti, j'ai répondu à plusieurs appels demandant des bénévoles pour le VAAAG (Village Alternatif Anti-capitaliste et Anti-Guerres) et le VIG (Village InterGalactique). Samedi 24 mai à midi, je passe au VAAAG, qui a déjà bien entamé sa construction, leur livrer un frigo, ce qui sera finalement mon unique contribution car les besoins sont plutôt du côté du VIG, à 500 m, qui n'est pas commencé. Les 2 villages sont sur la commune de Cranves-Sales qui touche Annemasse.

Petit à petit, du monde et des camions de matériel arrivent. État des lieux : le champ est vraiment immense, ce qui promet des km de marche dans les prochains jours, l'électricité, l'eau et le téléphone sont installés au bord du chemin qui longe le champ mais seule l'eau marche. Nous n'auront le reste que mardi. Les WC chimiques sont trop peu nombreux pour les 5000 personnes attendues et il n'y a pas de douche.

Des groupes se créent naturellement pour chaque tache et chacun change de groupe quand il le désire. Nous creusons des WC dans le bois, concevons des douches, tirons les réseaux d'eau, d'électricité et de téléphone (enterrés ou suspendus), montons les tentes, marabouts et chapiteaux, faisons les courses et la cuisine, ... Pendant ce temps, les hélicoptères passent toutes les ½ d'heure et des voitures de police plusieurs fois par jour malgré un accord avec le préfet qu'ils finiront par respecter.

Jusqu'à la fin, l'autogestion a bien fonctionné, à part avec les « clients » venus camper dans un endroit animé et qui n'ont sans doute pas lu la charte du village. Par exemple, des dizaines de personnes avaient amené des outils, stockés dans une tente sans responsable. Il n'y a eu aucun problème de fonctionnement. Ailleurs, dans la fausse vie, c'est la pagaille dès qu'il y a 2 caisses à outils même cadenassées :-)

Mardi... Au fur et à mesure que les groupes arrivent, des taches s'ajoutent : la buvette, l'accueil 24h/24 à l'intérieur du village et l'accueil 24h/24 à l'entrée afin de diriger les voitures vers le parking et la police vers son point de départ au cas ou son envie de ronde lui reprendrait. Les différentes tendances du village étant progressivement installées, des AG permettent de décider de la suite avec plus de monde à chaque fois. Les divergences sont toujours discutées dans le calme.

Les équipes de la Legal Team et Medical Team s'installent et grossissent de quelques volontaires compétents dans ces domaines. La croix rouge gonfle sa tente à côté, une bonne dizaine de personnes qui se relaieront 24h/24. La vingtaine d'ordinateurs du Media Center a marché du premier coup, la connexion à internet également. Entre autre, deux n° du journal du village seront édités. La radio du village est installé à côté des sacs de pommes de terre, mais je n'ai vu aucune épluchure aux pieds des animateurs.

Les ingrédients sont là, leur place se fait et se modèle naturellement en fonction des besoins et de l'esprit ambiant.

Dimanche 1 juin, 4h30 Les slogans sont scandés pour renforcer l'effet du café. C'est le départ vers ce qui restera dans les médias comme le blocage de Saint Cergues, entre Annemasse et Évian. Le cortège du VAAAG et du VIG réunis (2000 personnes à mon avis, les sources divergent beaucoup, jusqu'à 5000) s'enfonce gaiement dans la nuit colorée par les tambours de la batucada. Je fais partie de la logistique, qui reste en arrière du blocage ou dans les villages pour approvisionner en eau pour rafraichir, désaltérer et laver les yeux et le corps pendant les tirs de lacrymos, en outils pour construire des barricades ou en toutes sortes de trucs que peuvent contenir nos deux voitures. Une autre voiture sert du café et une 4ème sert des plats chauds. Un magnifique bus rouge diffuse de la musique et des annonces par sa sono sur le toit. La solidarité entre tous est visible à chaque instant. Chacun est vraiment conscient de ce qu'il fait ici. Même à l'arrière où l'ambiance est plus décontractée, surtout quand le vent éloigne les gaz, la simple arrivée de gendarmes a provoqué instantanément un rapprochement de tous qui se sont mis en bloc pour créer un 2ème front. Vers 9h, environ la moitié a quitté le blocage pour aller à la manifestation à Annemasse. Nous étions à 7 km, + 7 ce matin à l'aller + une 12aine dans Annemasse et Genève. Le militantisme est une action citoyenne qui contente l'esprit mais aussi le corps ! 12h30, après 7h dans les lacrymos pour les 1ères lignes et des 100aines de bouteilles d'eau remplies et aussitôt vidées, souillées de produits dont certains sont actuellement à l'étude (peut-être illégaux dans cet usage), nous retournons aux villages. Saint Cergues est peut-être le patron des manifestants : il a mis sur notre route un fabricant de piscines. Il y en avait 5, remplies. Les médecins s'inquiétaient du mélange javel+lacrymos, mais le besoin de se laver était plus fort que tout. La joie était totale. Les habitants des environs qui nous ont beaucoup aidé pendant le blocage accourraient, un sourire immense illuminant leur visage. Puis nous sommes rentrés. Il n'y a pas eu d'arrestation comme je l'ai lu, nous attendions les retardataires qui s'isolaient un instant dans les buissons.

Le soir même, pour protester contre la délinquance de la police suisse, 2 groupes sont allé manifester à Annemasse et proposer un plat chaud aux habitants en guise de remerciement pour leur accueil pendant la manifestation. Nous étions en retard et une personne nous fait part de son inquiétude : on n'a aucune nouvelle du 1er groupe depuis qu'ils se sont engagés dans une rue suivis par des cars de CRS, omniprésents ce jour là. Elle nous propose d'essayer d'avoir des nouvelles. Nous avançons dans la ville déserte (excepté les CRS, qui prennent des photos) et chaque personne qui revient nous dit la même chose : le 2ème groupe va bien, mais ils ne savent rien du 1er. Des rumeurs disent que c'est un piège pour nous retenir ici et faire une rafle dans les villages. L'inquiétude monte, une certaine peur également : à chaque rue, nous avions 15 cars de CRS de plus derrière nous. Mais fausse alerte, tout le monde était ensemble place de la mairie. J'ai eu plus peur dans ces rues sombres mais calmes que dans le tumulte gazé du blocage de Saint Cergues :-) . Avec le recul et les témoignages, on peut dire qu'en France, la police s'est plutôt bien tenu.

Le démontage du village s'est passé aussi bien que son montage. Des volontaires, de l'efficacité, de la bonne humeur et du soleil.

Nous avons eu des rapports plus qu'excellents avec les habitants de Cranves-Sales, de Saint Cergues et d'Annemasse . Le 1er contact a été une manifestation festive à Annemasse par le VAAAG et le VIG sous le thème « nous ne sommes pas des barbares » (à cause de la campagne de presse qu'ils ont subit), puis une invitation à un apéro au VIG, puis une mini manif de remerciement à Cranves-Sales avec une banderole « merci Cranves-Sales » et enfin, un débat au VAAAG leur donnant en priorité la parole, suivit d'un repas. Pendant toute la durée des villages, ils ont apporté du café la nuit et de la bière le jour à ceux de l'accueil, ils ont invité chez eux ceux qui passaient pour faire des courses, ils nous ont soutenu pendant les actions. Notre venue les inquiétait beaucoup mais notre départ a été parfois émouvant. C'est une grande victoire sur les préjugés. Leur soutient confirme que le G8 doit disparaitre, G8 au sens symbolique de ce qu'il représente.

Régis, 9 juin 2003
sigir AT free.fr

C'est un récit volontairement incomplet. Beaucoup de choses ont déjà été écrites :


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