La Bolivie : de l'éradication de la coca à l'éradication du syndicalisme paysan et du mouvement populaire Après un mois de janvier très difficile, et le mois de février à peine entamé, la situation en Bolivie s'est aggravée : six sur neuf départements se trouvent semi paralysés suite aux blocages des routes principales. 30.000 paysans ont été mobilisés et sont attendus très prochainement à La Paz pour renforcer les blocages . La région des Yungas est complètement incommunicable. A Oruro, des affrontements avec l'armée ont provoqué la mort d'un paysan et blessé 8 autres. A Cochabamba, région d'où le conflit s'est étendu à tout le pays, la violence est quotidienne. En l'espace d'une semaine, dix journalistes de différents moyens de communication ont été agressés par les forces de l'ordre. La situation est telle que, selon un journal local, les journalistes de la presse doivent s'équiper de gilets pare-balles, masque à gaz pour pouvoir travailler dans les rues. A mesure que le mouvement s'étend, les revendications se multiplient et se radicalisent. Aux exigences spécifiques à chaque secteur (dont la Centrale ouvrière bolivienne, l'Association des retraités, la Fédération des enseignants, les Régents, la Confédération unique des travailleurs paysans de Bolivie, la Coordination de défense de l'eau, etc.) s'ajoutent également d'autres revendications de caractère plus général. Les paysans, par exemple, réclament à présent non seulement des terres, le respect à leur identité culturelle, la création d'une banque indigène, l'indemnisation des familles des paysans morts et blessés, le jugement de l'ex président Banzer . Leur revendication vont également plus loin : il réclament l'abrogation des lois 1008 et 21060, sur lesquelles se basent depuis 15 ans la politique anti drogue et le modèle économique néo libéral en vigueur. Trois exigences sont à la tête et sont communes à toutes ces plate formes de revendications : la dérogation du décret 26415, le retour d'Evo Morales à la chambre des députés et la libération des 60 cultivateurs de coca emprisonnés. Chronologie : Le 28 novembre 2001, le décret 26415 qui interdit le transport et la commercialisation de la coca est approuvé . Selon ce décret, toute personne surprise en train de transporter ou de vendre de la coca du Chapare est passible d'une peine de 8 à 12 ans de prison. Seule la vente de feuilles de coca provenant des Yungas est autorisée. Le mois de décembre voit une succession de réunions, de communiqués et de manifestations des producteurs, transporteurs et commerçants qui exigent l'annulation du décret. L'Assemblée des Droits de l'Homme ainsi que le Défenseur du Peuple sont appelés. Ces deux organismes se prononcent également pour l'annulation du décret en le dénonçant comme anticonstitutionnel. En janvier 2002, des soulèvements et manifestations se succèdent. Les cultivateurs de coca se déclarent en état d'urgence et menacent de bloquer les routes. Finalement, les cocaleros du Chapare appèlent à une grande manifestation de protestation vers la ville de Cocabamba pour le 14 janvier. Le lendemain, la violence se déchaîne a Sacaba, ville située entre le Chapare et Cochabamba et siège du plus ancien marché de coca et de l'organisme de contrôle et de fiscalisation de l'Etat de la feuille de coca. Vingt-cinq véhicules de cet organismes sont brûlés et deux membres des forces de l'ordre sont blessés par balles. Le 16 janvier, deux paysans sont tués et un soldat blessés, toujours à Sacaba. Les essais de dialogue ayant échoués, les violencent continuent et deux paysans et deux militaires et deux policiers perdent la vie dans les affrontements. Le 19 janvier, commencent des opérations surprises dans les syndicats des cocaleros. Plus de 70 dirigeants sont emprisonnés. L'Assemblée des Droits de l'Homme dénonce des tortures, mauvais traitements et viol. Le 24 janvier 2002, le député Evo Morales est expulsé du Parlement, accusé de " faute éthique grave, en ayant abusé de son immunité parlementaire pour inciter à la violence ". Morales entreprend une grève de la faim, les mobilisations dans le Chaparé et à Cochabamba commencent et s'étendent peu à peu à tout le pays. Antécédents au décret : Le décret 26412, qui fait partie du " plan de dignité " se révèle être le chaînon manquant des quinze dernières années de lutte contre la drogue et le trafic de drogue en Bolivie. Les différents plans et stratégies qui se sont succédés durant ces années ont eu comme point commun l'intromission des Etats-Unis dans leur élaboration et la soumission à différents degrés des gouvernements successifs à ce dictat Ainsi, des premières années de " guerre contre les drogues " de l'époque Reagan, on est passé à celles de " coca pour le développement ", " coca pour l'investissement " , jusqu'à aux années de la fameuse " diplomatie de la coca ". Expressions qui démontrent un certain degré de souveraineté dans la définition des politiques antidrogues. Mais ces politiques contre la drogue furent de toute manière tributaires de la fameuse " certification " et de l'appui financier octroyé par les Etats-Unis. De plus, ces programmes successifs ont pour point commun leur asservissement à la vision stratégique des Etats-Unis qui se contentent de s'attaquer à l'offre, c'est à dire au petit producteur de coca en Bolivie, plutôt qu'à la demande dans leur propre pays. Ces différents programmes ont en plus tous échoué dans leur prétentions de substitution des cultures de coca au profit d'autres cultures. La difficile substitution : L'utilisation de la coca remonte à la période préhispanique et on suppose qu'elle s'étendait du nord de l'Argentine jusqu'au Nicaragua et les îles des Caraïbes. La région des Yungas près de La Paz produit de la coca depuis cette époque. A Cochabamba (Chapare), la culture de la coca a été introduite dans le courant du 18ème siècle. Avec la Révolution nationale de 1952, la région des Yungas voit sa production décliner peu à peu au profit du Chapare qui devient la principale zone de production à partir de 1972. Ces dernières années, dans un contexte de grave crise et face à une demande à des fins illicites sans cesse grandissante, la production de la coca ne cesse d'augmenter. Pour les paysans, abandonnés par les différents gouvernements, confrontés à la dégradation de leur économie et sans accès à un minimum de services, la coca et les ressources qu'elle engendre représente une réelle stratégie de survivance. La substitution de la coca se révèle très difficile pour les paysans par manque d'appui technique et institutionnel et en l'absence d'accès au crédit. Le manque d'infrastructure sociale et tout type de problèmes liés à la commercialisation comme la transformation adéquate des produits, du transport, de l'accès aus marchés existants, etc. De plus, la feuille de coca fait partie de la culture, des croyances et de l'alimentation de toute une partie de la population bolivienne et constitue un apport économique non négligeable dans la commercialisation des produits dérivés (infusions, huiles, pommades, etc.). La feuille de coca joue également un rôle comme symbole d'identité et de solidarité de groupe. En ce sens, s'attaquer à l'utilisation de la feuille de coca constitue une atteinte aux bases de la culture andine et de la solidarité paysanne. Du plan dignité au decret 26415 Les gouvernements successifs ont, comme nous l'avons évoqué, suivi les orientations et la pression des Etats Unis à des degrés différents. Le " plan dignité " lancé il y a quatre ans par l'ex dictateur Hugo Banzer, atteint un degré de soumission extrême. Ce plan a pour objectif la " coca zéro ". Les raisons de cet abandon total de souveraineté nationale en matière de lutte anti drogue peuvent s'expliquer par le passé de Banzer (non seulement comme dictateur dans les années septante mais également par ses liens avec le narcotrafique). Durant les deux dernières années, les nombreuses déclarations de plan " coca zéro " se sont multipliées en même temps que les démentis. La coca zéro est un objectif inatteignable. Si Banzer commençait l'année 2001 en décrétant le succès de " coca zéro ", son successeur le président Quiroga, commence cette année 2002 avec la surprise de constater qu'il reste encore 6000 hectares de plantation de coca. Un observateur assure qu'au rythme actuel de replantation, le niveau des années 80 risque d'être atteint, c'est à dire entre 60 et 70.000 hectares de plantation. D'autre part, le " Plan dignité " s'inscrit dans une stratégie appelée " Initiative andine " qui, en réalité, étend le Plan Colombie à la Bolivie, Pérou, Equateur et Venezuela. L'an passé, le " tsar " bolivien antidrogue en exercice, dans un lapsus qui lui a été aussitôt reproché énergiquement par l'ambassade et le gouvernement bolivien, a admis que le plan était un " Plan Colombie à la bolivienne " et a donné plusieurs informations peu connues du Plan tels que l'implantation de 8 bases militaires, ainsi que les montants et les attributions de l'aide nord américaine supposées être secrètes. Il dut se rétracter le lendemain de sa déclaration, ce qui n'a pas occulté l'intensification croissante de la militarisation de la région durant les derniers mois de l'année 2001. Cette période se termine par la proclamation du décret 26415 qui pénalise la feuille de coca dans l'état naturel (l'interdiction de la transporter et de la commercialiser ne signifie pas autre chose), confirme l'échec de l'utopique objectif " coca zéro " et déchaîne la vague de violence qui s'est soldée par le mort de 4 paysans et 4 membres des forces de l'ordre. L'expulsion du député Evo Morales Ces 4 dernières victimes sont utilisées pour émouvoir l'opinion publique et, lors d'un procès grossièrement monté dans un temps record de 72 heures, le parlementaire Evo Morales est sanctionné de la peine maximum que le règlement de la chambre des députés peut appliquer à un parlementaire : la " séparation définitive " est un genre de décapitation démocratique qui retire au député son mandat populaire. Si l'exclusion de parlement est due à une supposée " faute d'éthique ", ce que l'on prétend en réalité c'est que l'opinion publique le condamne pour la mort des quatre militaires. D'autre part, le pouvoir politique s'est substitué grossièrement au pouvoir judiciaire : si Morales avait une quelconque responsabilité dans l'affaire, un juge devrait initier par une demande de levée d'immunité afin d'entamer son procés. Evo Morales est expulsé sans que le pouvoir judiciaire ne soit intervenu, fait qui n'avait jamais été vu au Parlement jusqu'à présent. De la " coca zéro " à l' " opposition zéro " Le nouvel objectif de la lutte contre la drogue n'est plus l'éradication de la feuille de coca mais celle du syndicalisme paysan et de son projet politique national. Ce mouvement ne cesse d'aller en s'amplifiant depuis 1995. Le mythe de la " coca zéro " s'est vu substitué par l'élimination du syndicalisme paysan. Evo Morales a été expulsé du parlement avec la claire intention de le détenir et ensuite jugé par la justice ordinaire afin de le déclarer inapte électoralement en éliminant le potentiel politico-électoral d'un lider qui fut élu au parlement avec 61,8 % des voix de sa région. Ce qui gêne l'ambassade américaine et le gouvernement bolivien c'est que la résistance aux politiques anti drogue en Bolivie ait été syndicale et non armée , contrairement à d'autre pays producteurs de coca. Evo Morales est ainsi sacrifié par l'ambassade américaine qui ne le désigne plus comme lider politique ou syndical mais comme le chef de la guerilla liée au trafic de drogue. L'indigne " Plan dignité " Ce plan ne passera pas à l'histoire comme celui qui aura sorti la Bolivie du circuit coca-cocaïne, ou qui aura réduit le trafic de drogue. Il restera comme la plus forte tentative de l'Etat de briser la résistance interne, la base sociale qui défend la production de la feuille de coca. Il demeurera également comme le plan ayant écarté un lider et éviter que ne grandisse son influence en entraînant d'autres secteurs comme les sans-terres et les colonisateurs. Loin de remplir ses objectifs, le " Plan dignité " a aggravé les problèmes de la coca et de sa substitution de même que les problèmes de la démocratie et de la crédibilité du système politique. Sources : les Journaux boliviens Los Tiempos, La Razon, La Prensa, El Diario, Domingo et Pulso Digital
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