Accord Mexique - Union européenne

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L'annonce faite par le gouvernement mexicain selon laquelle, dans les
prochaines semaines, pourrait être ratifié l'accord de libre échange
négocié avec l'Union européenne, est loin de constituer une bonne
nouvelle pour le peuple mexicain. La perspective d'une approbation
définitive, précipitée et sans connaissance du texte légal de
l'accord, par le Sénat de la République, vient s'ajouter à un
processus caractérisé par l'absence d'information, de consultation, et
de participation de la société mexicaine quant à un sujet qui sera de
grande importance pour notre pays.

Les attentes qui ont pu exister quant à un accord avec l'UE différent,
sur la forme et sur le fond, de l'ALÉNA, mais aussi quant aux graves
conséquences de ce dernier, ont été complètement ruinées, non
seulement en raison de la forme antidémocratique des négociations,
mais également parce que le modèle d'exclusion sociale et le manque de
prise en considération des inégalités entre les nations se répète et
menace d'approfondir et d'amplifier les conditions désavantageuses
dans lesquelles le Mexique s'insère dans le phénomène actuel de
globalisation.

Bien que, à la différence de l'ALÉNA, soient inclus dans l'accord les
chapitres II et VI sur le Dialogue politique et la Coopération, ces
derniers constituent de simples déclarations d'intention, manquant
d'effectivité et de mécanismes juridiques, ce dont sont par contre
pourvus les chapitres relatifs au commerce et à l'investissement. En
particulier, la clause démocratique contenue dans l'Accord est loin de
représenter une possibilité de protection des droits sociaux, du
travail, ethniques, environnementaux, de genre, de l'homme et sociaux
en général dans les pays signataires. Celle-ci manque en effet de
références explicites à de tels droits, mais aussi de mécanismes
concrets permettant la garantie de leur respect, ou encore d'instances
qui permettraient une participation et une supervision de la société
civile. Par conséquent, tout est laissé entre les mains des
gouvernements. Ne sont même pas incluses les dispositions sociales et
la participation des organismes de la société civile, pourtant prises
en considération au sein même de l'Union européenne.

Il s'agit, de ce fait, d'un nouveau traité de libre échange et
d'investissement qui peut seulement renforcer l'exclusion et la
polarisation sociales, déjà croissantes dans notre pays depuis qu' a
débuté l'ouverture néolibérale de nos frontières. De cette façon, le
gouvernement mexicain s'est révélé une fois de plus être l'un des plus
grands opposants au respect des droits de l'homme, sociaux et
environnementaux, pourtant pris en considération dans tout accord ou
instance internationale.
Le plus grave est que, de la même manière qu'avec l'ALÉNA, le
gouvernement mexicain a négocié l'Accord avec l'Union européenne trop
rapidement, avec maladresse, sans se soucier des intérêts nationaux,
et au bénéfice exclusif des grandes entreprises transnationales et de
leurs partenaires mexicains.

Le Traité de libre échange avec l'Union européenne (TLCUE) ne prend
pas réellement en considération les asymétries entre l'UE et le
Mexique, pays en voie de développement. Il ressort de l'analyse du
texte disponible jusqu'ici qu'il n'existe pas de traitement
réciproque, équilibré et juste, au bénéfice du Mexique. Au contraire,
l'UE a obtenu un traitement préférentiel et un accès plus rapide au
marché mexicain, dans des conditions meilleures que celles concédées
jusqu'ici par le Mexique à d'autres pays. En d'autres mots, le Mexique
a octroyé plus d'avantages que ne l'a fait l'UE.

Au coeur du TLCUE, tout comme avec l'ALÉNA, se retrouve le principe du
traitement national entre partenaires. C'est-à-dire que, au lieu de
reconnaître les asymétries au niveau du développement, d'établir des
mécanismes compensatoires qui les réduisent, et de permettre au
Mexique de bénéficier d'un traitement spécial et différencié, comme le
prévoit l'OMC pour les pays en voie de développement, il est accordé
un traitement égal entre des parties inégales, c'est-à-dire plus
d'inégalité. Clairement, le Mexique n'en sort pas vainqueur.

Le TLCUE ne traduit pas non plus une volonté des pays industrialisés
de promouvoir l'idée selon laquelle leurs entreprises et institutions
peuvent procurer des stimulants destinés à favoriser le transfert de
technologie aux pays les moins avancés, ainsi qu'offrir la flexibilité
appropriée afin que les différents pays en développement ouvrent moins
de secteurs, libéralisent moins de types de transactions, augmentent
progressivement l'accès à leurs marchés, compte tenu de leur situation
de développement, critères établis dans le cadre du GATT-OMC, et
auxquels le Mexique a renoncé de façon inexplicable, tant dans le
cadre de l'ALÉNA, qu'à présent dans celui du TLCUE. Il est clair que
les négociateurs n'ont pensé ni au pays ni aux mexicains. Il est
incroyable que les pays les moins développés d'Europe puissent
bénéficier d'un traitement spécial à l'intérieur de l'UE, que ce droit
ait pu être prévu pour le Mexique, et que nos négociateurs n'aient pas
su tirer profit de ces circonstances. La supposée gradualité dans
l'ouverture alléguée par le gouvernement mexicain est absolument
insuffisante pour compenser les asymétries.

Dans cette même logique, le gouvernement mexicain a accepté, pour que
les biens puissent circuler librement à l'intérieur des territoires
des parties, qu'il suffise qu'ils contiennent des composants de l'UE
ou du Mexique, c'est-à -dire des règles d'origine régionales. Ces
conditions pourront être facilement remplies par l'UE, qui bénéficie d
'une industrie intégrée, mais pas par le Mexique, dont l'industrie
utilise chaque fois plus de composants provenant d'Amérique du Nord.
Une telle disposition peut seulement laisser envisager que
s'approfondisse le démantèlement du secteur productif national.

De la même façon qu'avec l'ALÉNA, l'accord avec l'UE renonce à réguler
l'investissement, tant direct que spéculatif. Il ne pourra pas être
exigé de condition d'exercice. Nous sommes obligés d'octroyer le
traitement national, et de reconnaître une protection maximale aux
intérêts étrangers. Une entière liberté est octroyée aux flux
d'investissements, et il est impossible d'influencer leur orientation
pour qu'ils jouent un rôle positif sur le plan du développement
national. Ceci pourra seulement entraîner une plus grande instabilité
de la croissance économique, une vulnérabilité financière et de
change, et une augmentation des inégalités régionales, sectorielles et
productives. Il est particulièrement grave que le TLCUE se base sur
les Accords de protection réciproque des investissements (APRIS),
signés bilatéralement avec les pays européens, et qui établissent que,
même en cas de rupture, ils resteront en vigueur durant une période d'
au moins 20 ou 25 ans. Ceci constitue un véritable verrou à toute
intention de changement dans la politique économique.

De ce qui précède, il ressort qu'il s'agit d'une négociation inachevée
à de nombreux niveaux, et dans le cadre de laquelle de nouvelles
négociations sont prévues afin d'approfondir la libéralisation.

L'accord octroie une complète au pouvoir exécutif la discrétion totale
quant à l'adaptation de l'Accord dans le futur et quant à la
modification des lois, si nécessaire, et cela en violation flagrante
des dispositions de notre Constitution. Le TLCUE laisse des points
substantiels, tels que celui du secteur de l'agriculture et de la
pêche, ou celui des marchés publics, en attente de négociation, et
prétend qu' il est octroyé aux représentants gouvernementaux les
pouvoirs pour le faire sans soumettre ces accords au Sénat. Le Conseil
conjoint est érigé en autorité supranationale, supérieure à notre
Constitution et au pouvoir législatif. L'arbitraire va plus loin :
trois autres conventions internationales sur la propriété
intellectuelle sans consultation du Sénat. De plus, l'article 35 de
l'Accord nous oblige à réviser toute notre législation en matière
d'investissement dans un délai de 3 ans pour la rendre compatible avec
les accords internationaux d'investissement, sans préciser à quels
accords il est fait référence. L'anticonstitutionalité de l'Accord est
flagrante.

Au regard de toutes ces considérations antérieures, nous,
organisations sociales, organismes non gouvernementaux, sénateurs et
députés, citoyens et citoyennes participant à ce forum, demandons et
proposons :
1) que le Sénat, dans un acte de patriotisme et de respect de ses
droits élémentaires, rejette l'approbation d'un accord international
qu'il méconnaît.

2) que le Sénat entame une vaste discussion avec tous les secteurs de
la population, de laquelle ressortira la nécessité de reprendre une
négociation orientée à partir d'un projet national accepté. En
d'autres termes, l'Accord ne doit pas être approuvé dans son contenu
actuel.

3) En particulier, nous demandons au Sénat de modifier toutes les
dispositions de l'Accord octroyant des pouvoirs anticonstitutionnels
au Conseil conjoint. Ceci peut se résoudre par une déclaration,
faisant partie de l'Accord, et dans laquelle il serait affirmé que les
représentants gouvernementaux sont tenus de soumettre les futures
négociations à la ratification du Sénat.

4) De la même manière, une clause doit être incluse, précisant que
tous les accords internationaux auxquels il est fait référence dans
l'Accord, et faisant partie de celui-ci, obligeront le Mexique dans
les limites établies par les clauses de réserve et exceptions par
lesquelles le Mexique a adhéré à ceux ci.

5) Nous demandons à nos partenaires européens qu'ils exigent de leurs
gouvernements et parlements la restauration d'un véritable processus
démocratique et qu'ils reconsidèrent les termes de la négociation en
prenant en compte les critères sociaux et asymétries pris en
considération au sein de l'UE elle-même. Nous demandons qu'ils
reprennent les recommandations du Bundestag et des autres parlements
pour inclure un mécanisme obligatoire de participation des organismes
de citoyens européens et mexicains, un rapport sur la clause
démocratique, ainsi qu'un mécanisme explicite permettant de donner un
contenu au chapitre de la coopération.

En conséquence, les participants à ce forum proposent d'agir en
construisant une action solidaire avec les peuples européens, afin de
tenter de renverser les effets sociaux négatifs que peut engendrer un
traité de cette nature. Nous ne sommes pas « globaphobes » : nous
cherchons une globalisation au bénéfice de l'humanité et non à
l'avantage de quelques corporations mondiales. Si les gouvernements
n'ont pas compris la leçon et le sens des évènements de Seattle, la
société civile les a au contraire saisis : la globalisation, basée sur
l'antidémocratie, sur l'exclusion sociale, et sur un ordre mondial
injuste, n'avancera pas.
MEXICO, FÉVRIER DE 2000
Red d'Action citoyenne - al.moro@wanadoo.fr

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"Ceterum censeo capitalismum esse delendum"

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