En 1998, une mobilisation citoyenne faisait échouer la ratification de l'AMI (Accord Multilatéral d'Investissement), concocté dans l'ombre des bureaux de l'Organisation Mondiale du Commerce. L'AMI devait consacrer la prépondérance des intérêts des firmes transnationales sur les législations nationales du monde entier, et ce dans tous les domaines d'activités. Ce qui est sorti par la porte en 1998 est aujourd'hui en train de revenir discrètement par la fenêtre, sous la forme de l'AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services).
En 1994, les Accords de Marrakech instauraient le cadre institutionnel de la marchandisation de la planète par la création de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ratifiée par cent vingt-cinq pays alors repésentés. L'OMC devenait ainsi l'outil par lequel allait être mis en œuvre la privatisation du monde. L'OMC... l'organisation internationale la plus puissante, la seule de toutes les institutions internationales à disposer de moyens judiciaires pour faire respecter les accords qu'elle impose sans débat démocratique, et en s'appuyant sur les seules critères de la concurrence commerciale, les seuls qui soient contraignants...
Après les échecs successifs de la ratification de l'AMI (Accord Multilatéral d'Inves-tissement) en mars 1998 et de leur sommet de Seattle en novembre 1999, les technocrates de l'OMC ont donné, depuis septembre 2001 (sommet de Doha), un coup d'accélérateur à la mise en œuvre de l'AGCS, en demandant à chaque Etat-membre de présenter, à la date du 30 juin 2002, la liste des services qu'il voulait voir privatisés chez les autres Etats-membres et, à la date du 31 mars 2003, de communiquer la liste des services qu'il s'engageait à privatiser chez lui.
L'AGCS présente de graves menaces sur l'ensemble des services publics, remet en cause le modèle social développé depuis cent cinquante ans dans les pays européens et menace les droits démocratiques des citoyens partout dans le monde. Il appelle ni plus ni moins au démantèlement des lois nationales protégeant l'environnement, la vie sociale et culturelle, lois qu'il considère comme autant d'obstacles au libre commerce international. De plus, les négociations se déroulent dans la plus totale opacité et sans aucun débat public et démocratique. L'AGCS oblige les Etats-membres de l'OMC à ouvrir leurs services publics à la voracité des firmes privées, dont les seuls objectifs sont la rentabilité et le profit, au détriment des intérêts et du bien-être de la collectivité. Il les contraint par ailleurs à considérer leurs engagements comme irréversibles, mettant ainsi devant le fait accompli les parlements non consultés et l'ensemble des collectivités territoriales. Tout doit plier devant les intérêts des firmes transnationales, même le droit. La Commission européenne (cheville-ouvrière, voire moteur de l'OMC pour l'Europe), forte de son immunité face aux citoyens (car non-élue), a eu l'hallucinant cynisme de le reconnaître : " l'AGCS est plus qu'un accord entre gouvernements, c'est un instrument au service des milieux d'affaire " (juillet 2000).
L'OMC, logique dans sa volonté de transformer la planète, l'ensemble des activités humaines et tous les êtres vivants en marchandises, couvre par l'AGCS tous les domaines d'activités : la santé, l'éducation, la culture, la recherche, le tourisme, les transports, les communications, l'environnement, l'eau, l'énergie, etc. Les produits agricoles sont aussi concernés, par le biais des "organismes génétiquement modifiés" (OGM) et les services de distribution. Mêmes les biotechnologies, pour être plus facilement commercialisables, sont considérées... comme des services.
A terme, aucun de ces domaines ne pourra échapper à l'ouverture à la concurrence avec les firmes privées. C'est à partir de janvier 2005 que l'AGCS sera appliqué sur la base des résultats de la présente série de négociations... en attendant la suivante. Pour l'instant, seuls sont protégés les services régaliens de l'Etat : certains services ministériels, la défense nationale, la police et la justice. Mais ce qui n'est pas concerné par l'AGCS aujourd'hui pourra très bien être libéralisé lors de la prochaine série de négociations. Il est déjà prévu qu'elles auront lieu pour " élever le niveau de libéralisation " (article 19) et " réduire ou éliminer toutes les mesures législatives ou réglementaires " restreignant le commerce des services (article 23).
L'AGCS s'ingère ainsi dans la politique intérieure des Etats au profit des firmes. N'importe quelle loi ou mesure (même locale) d'un pays pourra être contestée et sa suppression demandée si elle " compromet les avantages " qu'une firme étrangère pouvait " raisonnablement s'attendre à tirer de son implantation dans un pays donné " (article 6). En vertu de l'AGCS, l'OMC aura le pouvoir de démanteler les protections sanitaires, sociales, environnementales et culturelles instaurées dans chaque pays et à chaque niveau de pouvoir (même municipal), dès lors qu'elle aura décidée, et elle seule, que ces protections constituent des obstacles entravant la libre concurrence.
Gilles Gesson, 4 avril 2003