A Marseille : "Jamais on n'irait brûler une mosquée"
 
• LE MONDE | 02.04.02 | 11h55
 
• MIS A JOUR LE 02.04.02 | 12h07
 
 
 

MARSEILLE de notre correspondant régional

Dans la traverse ombragée qui mène à la synagogue Or Aviv, lundi 1er avril au matin, les élus locaux et les responsables communautaires viennent constater l'ampleur des dégâts : des deux bâtiments préfabriqués qui abritaient le lieu de culte, la petite école religieuse, la bibliothèque et la buvette, il ne reste qu'une carcasse calcinée. Sur les huit rouleaux de Torah qui faisaient la fierté de cette communauté de 600 familles de l'est de la ville, cinq sont détruits et trois endommagés. Il faudra donc, selon la tradition, les enterrer tous.

La cérémonie, prévue pour 16 heures, est annoncée par toutes les radios juives. Sur les lieux, le préfet condamne l'attentat et annonce le renforcement des gardes devant les 42 lieux de culte juifs de la cité et les 17 écoles communautaires : 120 CRS supplémentaires seront à pied d'œuvre dans la soirée. La police scientifique travaille pour le compte du SRPJ, saisi par le procureur de la République, Jacques Beaume, qui fait le point : "La violence du feu et les déclarations des pompiers" laissent à penser qu'il s'agit d'un incendie criminel, bien qu'on n'ait pas retrouvé d'élément déclencheur. Un enquêteur ajoute qu'on a visé la bibliothèque, car c'était le lieu le plus inflammable : selon lui cela signe l'acte criminel.

Les officiels repartis, les hommes entrent dans la cour, font cercle autour des saintes écritures brûlées et récitent le kaddish, la prière qu'on dit en l'honneur des morts. Devant, on continue de murmurer : "Ce sont les médias et leur engagement propalestinien qui sont la cause de tout", soupire un homme approuvé par ses amis. Marc, 30 ans, qui se sent "vraiment marseillais, et vraiment juif", s'approche : "On est catastrophés, et même quand on n'a pas vécu ce qu'ont vécu nos parents, on ressent cela comme une atrocité. Mais jamais, au grand jamais, même avec une énorme haine, aucun d'entre nous n'irait brûler une mosquée."

L'âcre odeur de brûlé donne un poids tragique à son propos. Si le mot n'est jamais prononcé à voix haute, il ne fait de doute pour personne que ce sont des musulmans qui ont commis le crime, et pour des raisons liées au conflit du Proche-Orient. "Comme par hasard, c'est encore arrivé après une manifestation où on a crié "Mort aux juifs", enrage un homme, faisant allusion au défilé en faveur du peuple palestinien qui a eu lieu samedi à Marseille.

"C'est la première fois en France qu'une synagogue est rayée de la carte", s'indigne Zvi Ammar, le président du consistoire à la réputation de bagarreur, tout en appelant la communauté au sang-froid. En début d'après-midi, le maire, Jean-Claude Gaudin (DL) arrive : il a interrompu ses vacances et vient dire sa "tristesse" et son "indignation", avant d'ajouter : "A Marseille, les communautés ont l'habitude de dialoguer et de se respecter. Cette fois, c'est visiblement plus grave, il ne faudrait pas que cela se renouvelle." Il annonce que les responsables des différentes religions seront le lendemain matin dans son bureau.

Vers 15 h 30, la foule de plusieurs milliers de personnes déborde : tous les âges, toutes les classes, tous les courants des communautés marseillaises sont représentés. Les chants de prières se mêlent toujours aux interrogations et aux indignations. Un jeune homme s'exclame : "Si cela vient des banlieues, c'est qu'il y a un problème social. Les juifs n'ont pas à en être victimes, et le gouvernement est responsable de ces dérives !"

Huit jeunes hommes se saisissent du brancard de perches qui porte les rouleaux de la Torah calcinés recouverts d'un tissu blanc. Le cortège les suit vers le cimetière juif des Trois-Lucs, à plusieurs kilomètres de là : les marcheurs mettront plus d'une heure et demie à le rejoindre, tandis que d'autres iront en voiture.

Le Père Jean-Michel Passenal, le pasteur de Bourqueney et l'imam Bachir Dahmani représentent Marseille Espérance, association qui regroupe les différents dignitaires religieux sous l'égide de la mairie. Le communiqué de l'association condamne sans détour "l'antisémitisme et assure la communauté juive de son soutien et de son amitié".

Devant le cimetière champêtre cerné d'arbres de Judée et de lilas en fleur, la foule est si compacte que les porteurs ont du mal à la traverser. Ils s'approchent de la guenizia, où l'on enterre les objets du culte inutilisables. Les chants et prières reprennent, et le choffar retentit, cette corne de bélier que l'on n'entend que pour les grandes occasions : l'émotion trouble les regards.

Un rabbin dit que les livres ayant été touchés, "toutes les communautés juives du monde l'ont été". Puis Abraham Ohayon, le rabbin de la synagogue incendiée, appelle à une dispersion "sans slogan". Le soleil décline derrière les ifs quand les fidèles se dispersent dans le calme.

Trois adolescents ont été placés en garde à vue, mardi 2 avril à Marseille, pour avoir tenté d'incendier la bibliothèque d'un collège public et porté des inscriptions antisémites sur les murs de l'établissement.

Michel Samson


 

 

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.04.02


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