ANTI-G8 · Réunis durant le week-end à Genève, près de 400 militants se sont mis d'accord sur une manifestation unitaire qui, le 1er juin, empêchera aussi l'accès à Evian. Des actions de blocage dans tout le bassin lémanique sont prévues.

SIMON PETITE

Le sommet du G8 à Evian est illégitime. Nous allons donc entreprendre de bloquer pacifiquement la rencontre des sept pays les plus riches de la planète (plus la Russie). Voilà le message délivré par plus de 400 membres du mouvement altermondialiste aux « maîtres autoproclamés du monde ». Réunie à la Maison des associations à Genève durant tout le week-end, la coordination européenne contre le G8 (CECG8) espère une affluence de centaines de milliers de personnes tout autour du Léman. Voire davantage, puisque selon l'évolution de la situation dans le Golfe, la revendication pacifiste viendrait grossir les rangs des manifestants.

Point d'orgue de la protestation anti-G8, une immense manifestation unitaire, le dimanche 1er juin - jour d'ouverture du G8 - qui commencerait dès la matinée. Avec deux points de départ: le premier près de la rade à Genève et l'autre à Etrembière, aux portes d'Annemasse. Les deux cortèges, annoncent les organisateurs, se rejoindraient à Moillesulaz sur la frontière franco-suisse, de manière à former une barrière humaine du lac Léman jusqu'au pied du Salève. Ce qui bloquerait de fait tout accès vers Evian depuis l'Ouest.

La CECG8 renonce donc à s'approcher d'Evian, et à défiler dans les rues de la cité. L'avantage du scénario retenu réside, selon la coordination, dans le fait de pouvoir contourner le probable bouclement de la frontière. Dans ce cas-là, les deux cortèges (organisés de façon indépendante) iraient prendre en tenaille les postes de douane en signe de protestation.

« Nous exigeons des autorités le droit de manifester et la liberté de circulation », a lancé Juan Tortosa du Forum social lémanique (FSL), l'organe qui coordonnera, en compagnie du Comité vaudois anti-G8, la manifestation du 1er juin côté helvétique. « Nous ne voyons pas pourquoi nous serions empêchés de défiler si loin de la zone rouge protégeant Evian », a renchéri le président du Syndicat des services publics (SSP), Eric Decarro.

Mais les opposants au G8 sont bien conscients de n'avoir pas toutes les cartes en mains. Ils attendent avec impatience la réaction des Etats suisse et français. Ce matin, la conseillère fédérale Ruth Metzler devait rencontrer Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur. Et la lutte contre les mesures sécuritaires liberticides semble déjà avoir commencé. « Le préfet avait interdit la manifestation du 1er mai - un mois avant le début du G8(!) - à Evian », révèle Marie-Louise Benoît, membre d'Attac-74 et du Collectif Haute-Savoie de résistance au G8 (CHARG). « Sans nos protestations, la mesure n'aurait pas été levée. »

BLOQUER LES « COLLABOS »

De même, les opposants au G8 ne se font aucune illusion sur la possibilité d'empêcher George W. Bush et consorts d'arriver à Evian. « Nous espérons, en revanche, bloquer les courtisans et collabos des chefs d'Etat, soit près de 10 000 personnes », annonce le genevois Olivier de Marcellus. Une action symbolique? « L'essentiel est de contraindre les présidents du G8 à se réunir en territoire ennemi. En effet, c'est ainsi que le mouvement altermondialiste a transformé leur sommet en démonstrations de leur impopularité et du fondement violent de leur pouvoir », rétorque le membre du FSL.

Au sein de l'assemblée de ce week-end, la nécessité d'une mobilisation résistante s'est d'autant plus imposée que le G8 version 2003 sera un test. L'année dernière, les dirigeants des Etats les plus riches avaient fui la contestation dans les Rocheuses canadiennes. En juin, le mouvement altermondialiste tentera de leur montrer qu'il ne les a pas oubliés...

DECHETS ENCOMBRANTS

En plus de la manifestation de dimanche (prévue pour couper l'accès à Evian par l'Ouest), d'autres actions de blocage auront lieu le même jour dans tout le bassin lémanique de façon à perturber l'ouverture du sommet. A Thonon, à Saint Gingolph et à Lausanne, où embarqueront pour Evian un certain nombre de participants au G8. Le conseiller national popiste Josef Zisyadis encourage les Lausannois à déposer leurs objets encombrants autours de la zone d'exclusion englobant les grands hôtels et le débarcadère d'Ouchy. Comment s'articuleront la manifestation et les blocages des voies d'accès à Evian? Après la fin du double défilé, les manifestants, s'ils le souhaitent, rejoindront les points de blocage. Hier, la CECG8 a exprimé « son soutien et sa solidarité » avec ce type d'actions « pacifiques et non violentes ».

Un soutien plutôt qu'un appel aux blocages tous azimuts. Voilà qui reflète bien la diversité des vues du mouvement altermondialiste. Ce week-end, à la Maison des associations, on trouvait des représentants des syndicats français (CGT et CFDT), des Verts, des ONG et bien sûr des réseaux Attac avec quelques dizaines de militants allemands, italiens ou anglais. A leurs côtés, des mouvements plus radicaux par leur refus du système capitaliste (mais pacifiques) comme la Convergence des luttes antiautoritaires et anticapitalistes (CLAAC). Le réseau, qui dit pouvoir compter sur des milliers de sympathisants, avait annoncé avant le début de la rencontre genevoise qu'il ne voulait pas d'une « manifestation traîne-savates », où « les leaders syndicaux voire de l'ex-gauche plurielle française seraient venus parader ». Au final, la CLAAC était plutôt satisfaite du consensus trouvé. Mais soulignait la nécessité d'une solidarité sans failles des autres organisations avec les actions de blocage, même si ces dernières n'y participent pas. Et le syndicaliste Aristides Pedraza de rappeler: « A Davos, du moment que le Parti socialiste suisse a lâché le mouvement, il a ouvert les vannes de la répression ».

Un foisonnement d'initiatives

La mobilisation anti-G8 ne se résume pas au seul dimanche 1er juin, jour de l'ouverture du sommet à Evian. Loin de là. D'innombrables forums, débats ou événements culturels sont en train de s'organiser pour les jours précédents. « Le sommet pour un autre monde », organisé par le Centre de recherche et d'information sur le développement (CRID), proposera - sans doute à Annemasse - trois jours de conférences du jeudi au samedi. « Nous voulons prendre au mot les chefs d'Etat du G8 », explique Bernard Pinaud, membre de cette coalition française de solidarité internationale, qui ne cache pas avoir été reçue à l'Elysée. Les thèmes choisis sont donc ceux qui seront abordés à Evian. Sauf que ce sont des ONG comme Amnesty International, Greenpeace et autre Act Up qui traiteront, lors de ce contre-sommet, de l'alimentation d'un fonds contre le Sida, de la dette ou de la responsabilité sociale des multinationales. Le Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (CADTM) proposera, le samedi à Genève, un tribunal de cet instrument qui étrangle les pays pauvres. Deux villages alternatifs (au moins) devraient voir le jour, là aussi dans les environs d'Annemasse. L'un des deux projets, le VAAG (village anticapitaliste, antiautoritaire et antiguerre), est porté par la CLAAC (lire ci-dessus) et se voudra « en rupture avec le capitalisme ». Enfin, le vendredi soir, le Comité vaudois anti-G8 « mettra le feu au lac ». Josef Zisyadis annonce que, pour l'instant, cinquante brasiers seront allumés autour du Léman. De quoi contribuer un peu plus à l'encerclement du G8. SPe