400 délégués africains ont tenu leur anti-G8 à Siby
Paru le : 7 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/
brief enblish report: Poor people's summit held in Mali
de.indymedia.org: G8: Gegengipfel in Mali
2002: Activists make anticupola of the G8 in Mali

SOMMET DES PAUVRES. Pour la seconde fois, la société civile africaine s'est réunie au Mali en marge du G8. Quatre jours de critiques radicales et de recherche d'alternatives.

AGENCES/BPz

Siby, à 50 km de Bamako, capitale du Mali. Ici, rien de commun avec la coquette cité d'Evian. A Siby, il n'y a ni électricité, ni Palais de congrès et encore moins de centres thermaux: une seule pompe approvisionne le village en eau potable. Alors quel rapport avec la ville lémanique? Simplement que le village de Siby a accueilli, du 31 mai au 3 juin, un contre-sommet du G8. Les 400 participants de ce « Sommet des pauvres », organisé dans le cadre du Forum social africain, ont porté un regard extrêmement dur sur les effets de la mondialisation néolibérale sur leur continent. Militants, villageois et élus ont qualifié les décisions du G8 d' « effets de manche ». Ils n'épargnent pas davantage « leurs » dirigeants. Assis sous un appatam, paysans, intellectuels, responsables associatifs venus d'Afrique de l'Ouest, d'Europe et d'Haïti devisent dans une ambiance bon enfant. « Cela évoque Kouroukanfouga », explique Makafing Konaté. Le militant du collectif anti-dette Jubilé 2000 fait référence à une clairière toute proche où, en 1235, se serait réunie la première assemblée constituante d'Afrique de l'Ouest, sous la direction du chef Soundiata Keita, fondateur du premier empire du Mali. Il s'agissait alors de « donner le pouvoir au peuple », dit-il. « Le pouvoir au peuple... la révolution des peuples », appuie Fatim.

VIVRE LA PAUVRETÉ

A Siby, le peuple est représenté par une constellation d'organisations paysannes, de droits humains, de jeunes, de femmes, de travailleurs, de solidarité, mais également par des religieux, quelques élus ou de villageois.

La journée d'ouverture est rythmée par la musique traditionnelle et la parade des chasseurs. Un sketch mimant la « résistance africaine » est aussi présenté durant la cérémonie. « Ici, on se sent vraiment en Afrique, loin des forces de sécurité impressionnantes déployées à Evian », estime Nouhoun Kéita, l'un des rares journalistes maliens à avoir fait le déplacement. Sans infrastructures modernes, les conférenciers se débrouillent avec les moyens du bord, souligne Makafing Konaté. Une dizaine de cases rondes servent d'habitations à certains des participants, tandis que d'autres dorment à la belle étoile sur des nattes.

Des plats de riz sont servis à déjeuner, à l'africaine. Des Européens tentent de manger sans fourchette. Ils n'y arrivent pas, déclenchant des rires moqueurs.

« C'est la deuxième fois que nous gagnons notre pari », affirme Sékou Diarra, de Jubilé 2000: vivre comme des pauvres pendant quelques jours, pour mieux faire entendre leur voix. Un an auparavant, alors que se tenait le Sommet de Kananaskis, quelque 300 délégués avaient déjà pris le chemin de Siby. « L'argent dépensé pour organiser le Sommet du G8 à Evian aurait pu réduire de plus de moitié la misère des gens de la région de Siby. Vraiment, les grands de ce monde n'ont pas le sens du partage! », s'indigne un agriculteur du village, au cours d'une « conférence populaire paysanne ».

Deux paysans opinent, entrent dans la discussion. « Quels que soient les résultats de ce sommet, nous avons déjà gagné », dit l'un d'eux. La raison? « On a pu s'exprimer! Parler en Afrique, c'est important », explique le paysan, tout en insistant sur l'ambiance. « On ne peut s'exprimer librement que si le cadre est apaisant », dit-il.

Venu en voisin, le Sénégalais Bouba Diop, président du Conseil national des ONG de développement (Congad), juge lui aussi l'ambiance « très importante ». « On ne pouvait trouver cadre plus idéal pour un sommet dit 'des pauvres'. Nous vivons au village, parmi les villageois. »

Un boucher du village, lui, se frotte les mains. Depuis samedi, il fait de bonnes affaires. Des « guides touristiques » improvisés profitent également du sommet en faisant visiter les curiosités de la région aux conférenciers, dont l'affluence a aussi suscité une certaine curiosité parmi les habitants. « On n'a jamais vu autant de voitures d'un seul coup dans notre vie », affirme un boulanger.

L'AFRIQUE PAS « CAPITALISTE »

Durant quatre jours, les débats se succèdent sans temps mort. Avec un accent marqué sur les questions économiques. « Avec la mondialisation néolibérale, les financements proposés enfoncent l'Afrique, au lieu de lui permettre de se développer », estime Makanfing Konaté, résumant un point de vue largement répandu à Siby. Car pour les délégués, les solutions proposées pour le développement de l'Afrique n'ont jusque-là pas tenu compte des réalités propres du continent.

Les multinationales ne sont pas épargnées. On réclame qu'elles se soumettent au droit international et à une régulation démocratique.

« Les politiques d'ajustement structurel des argentiers internationaux ne servent pas à grand chose » en Afrique, ajoute Aboubakar Issa, du Réseau d' aide et de développement, regroupant une quarantaine d'associations et de syndicats du Niger. Pour lui, l'échec des « privatisations sauvages » est notamment dû au fait que « l'essence » de l'Afrique n'est pas « capitaliste ». En fin de compte cette politique contribue à appauvrir le continent au lieu de le développer.

« Pourquoi nous obliger à privatiser les secteurs comme l'eau, l'électricité, les télécommunications alors que, même en Europe, certains de ces secteurs sont toujours aux mains de l'Etat? » s'insurge le délégué nigérien. Il est par ailleurs convaincu que la dette du continent n'est que « la conséquence de l'actuel mode de financement » de son développement.

« Cette dette est une corde autour de notre cou », estime de son côté le Guinéen Boubakar Kanté, pour lequel il faut « carrément repenser » ce mode opératoire.

La voie à suivre, pour ce faire, « ce n'est pas le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) »1, avance Barry Aminata Touré, présidente de la branche malienne de Jubilé 2000. Le NEPAD, adopté par les dirigeants africains en 2001, fait notamment appel aux investisseurs privés du Nord. Cinq chefs d'Etat africains, promoteurs de ce plan, étaient présents à Evian pour se pencher sur le sort du continent durant le Sommet des sept pays les plus industrialisés plus la Russie.

EXCLUS DU NEPAD

Au dire de Mme Touré, le NEPAD a été conçu « sans la base. On nous a dit qu' il faut 59 milliards de dollars pour sa mise en ouvre. Or, jusqu'à présent, les intentions de financement n'ont pas atteint un milliard », dit-elle, en concluant que cela dénote « le peu d'engouement » de l'Occident pour un projet « conçu unilatéralement par les décideurs africains ». Ce dont le continent a besoin, assure-t-elle, c'est « un gros projet » de financement ficelé à la fois « par la base » et les bailleurs de fonds, une « aide qui aiderait l' Afrique à se passer de l'aide ». « Quand on veut coudre un boubou à quelqu'un, on ne prend pas ses mesures à partir d'un arbre alors que la personne même est présente », ajoute-t-elle, ironique. Plutôt que le NEPAD, à Siby, on préconise un renforcement de la coopération Sud-Sud. Agences/BPz

1 Voir notre édition du 24 mai.

Siby ne croit pas aux promesses du G8

Les participants au « Sommet des pauvres » ont qualifié d'« effets d'annonce » les mesures décidées par le G8 pour aider l'Afrique. Les dirigeants réunis à Evian se sont notamment engagés à mettre en place une force africaine d' interposition d'ici à 2010. Certains Etats du G8 ont aussi annoncé des contributions de plusieurs milliards de dollars pour la lutte contre le sida en Afrique.

« Souvenez-vous que l'an dernier, on a crié sur tous les toits que le G8 a décidé d'aider l'Afrique. Aujourd'hui, où en sommes-nous? », interroge Makafing Konaté. « Il n'appartient pas au Sommet du G8 de décider de notre avenir. C'est nous qui devons parler de nos besoins », ajoute Mme Touré. Pour Sékou Diarra, « les inégalités ne diminueront que le jour où les 'grands du monde' nous associerons à leurs projets pour l'Afrique ». Nafoun Kéita, une paysanne malienne estime, elle, qu'« au lieu d'inviter des chefs d'Etat africains au G8, il fallait inviter des paysans pour mieux cerner leurs difficultés ».

ANNULER LA DETTE

Abou Camara, un délégué guinéen, affirme contester « totalement » la manière de procéder du G8. « Le premier pas significatif » devrait être « d'annuler purement et simplement la dette des pays pauvres ». « Comment voulez-vous qu' un pays comme le Mali, avec une dette totale de 2.300 milliards de francs CFA (3,5 milliards d'euros) puisse se développer », s'insurge Mme Touré. Le « Marché des peuples », forum où les agriculteurs de la région viennent exposer « leur misère » est aussi très virulent avec le G8. « A-t-on entendu (à Evian, ndlr) que le G8 a décidé d'arrêter les subventions à ses agriculteurs, alors qu'il nous laisse végéter dans notre misère? », s'est interrogé un étudiant malien, estimant « révolue l'heure des grande théories sur l'Afrique ». Agences/BPz


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