Analyses | FSM
Pour ou contre le radicalisme ? La question n'est pas nouvelle, elle se pose simplement une fois de plus, et encore plus sérieusement, des deux côtés de la Western Express Highway, a Goregoan, dans la banlieue de Mumbai. À l'ouest de cette route à 5, 6 ou 8 voies selon les heures, le désormais célèbre Forum social mondial. À l'est, son nouveau concurrent et néanmoins critique, "Mumbai Résistance". La proximité des deux événements, dans l'espace comme dans le temps, ne doit rien au hasard. Les deux partagent les mêmes critiques du néolibéralisme, les deux espèrent un monde plus humain, plus "durable" humainement et écologiquement. Mais si le diagnostic est le même, les suites à lui donner ne le sont pas.
Au FSM, en ce 17 janvier 2004 (et en espérant d'autres impressions dans les heures à venir), on continue de diagnostiquer. On entend des intellectuels affirmer que le projet américain est une globalisation nationaliste. Que les organes financiers internationaux exigent des pays du sud qu'ils entrent dans le jeu, même si cela ne nourrit pas leurs peuples. On entend un membre éminent du syndicat international des travailleurs, Joan Somavia, exposer qu'en 13 ans de libéralisation effrénée, l'Amérique latine a vu son chômage augmenter de 50%, son économie informelle de 50% également et son pouvoir d'achat baisser, lui, de 25% en moyenne (et de 50% pour neuf des pays les plus touchés). La suite ? "Ca dépendra de vous", répond le syndicaliste sans en dire beaucoup plus. Tout au moins rester "local", cultiver une diversité forcement trop complexe pour le rouleau compresseur néo-libéral qui a besoin d'homogénéité pour se frayer son violent passage. Mais encore ? "Pour définir notre stratégie d'émancipation, il faut d'abord préciser le diagnostic", annonce Elisabeth Gauthier. Encore un diagnostic ? Hé oui. D'abord dire ce que nous combattons : " Non pas l'internationalisation des échanges, mais la structuration du monde par des objectifs capitalistes." Un projet politique, né en Amérique du Nord, soutenu, porté par les gouvernements européens. Une idéologie au service des pays et des classes riches. Une confiscation du pouvoir. Solution? "Reconquérir la souveraineté populaire". La liste serait longue des déclarations de ce type, entendues ce matin dans le Hall 4, dédié à "Mondialisation, gouvernance globale et Etat nation". Mais on fatigue, usé par la mauvaise sono, les interruptions, les défilés bruyants en plein discours d'Aminata Traore et surtout, surtout (désolé !) un sévère goût de déjà entendu, maintes et maintes fois.
Réactionnaires ? De l'autre côté de la route qui longe le FSM, le "Mumbai Résistance" paraît vouloir répondre à cette lassitude. Ce MR qui fustige "l'autre monde possible", trop angélique pour lui, et lui préfère un "Against imperialist globalisation and war". L'installation est plus modeste, les visiteurs moins nombreux, peut-être 500 par jour, mais les positions du MR suscitent forcément des questions. Quoiqu'en disent les organisateurs du FSM, le MR critique ouvertement (et vertement) le FSM, et il faut entendre ces critiques, même si elles sont partiales, même si elles sont à leur tour critiquables. On entend ainsi que le FSM est trop doux a l'égard des institutions, entend trop les "réformer". Formule simpliste mais redoutablement efficace : le FSM voudrait "donner un visage humain à la globalisation". Ainsi, pour les intervenants du MR, qui reconnaissent profiter de la vague lancée par les démonstrations de force qui se succèdent depuis Seattle, le FSM, s'il a eu hier une légitimité, se paye aujourd'hui de mots, alors que jamais l'urgence n'a été si grande. Et de citer, contre des discours parfois trop intellectuels et consensuels, les esclaves du monde moderne, les déportés des barrages indiens, les suicides de paysans, la déforestation, l'emprisonnement, la torture et l'assassinat d'activistes. Quelque part, le RM nous demande méchamment si nous croyons éviter ces périls avec de "simples" forums.
Badruddin Umar, président du Conseil national de Libération du Bangladesh, qui ouvre le MR explique ainsi qu'aucun changement n'est à espérer sans une force de résistance organisée, autour d'un programme précis "contre les gouvernements qui agissent comme les agents de l'impérialisme et des organisations financières et militaires à caractère impérialiste". Plus tard, l'orateur affirmera que seuls de vrais partis révolutionnaires peuvent mener à bien une telle lutte, et en aucun cas des ONG et autres associations de la "société civile" (formule utilisée avec ironie). Il en appelle aussi aux syndicats, relevant leur grande faiblesse dans les pays du nord. Badruddin Umar signale encore des cas de noyautage d'ONG, suspecte la "société civile" d'être déjà infiltrée par les suppôts de l'impérialisme et l'accuse d'inviter dans ses grandes messes des organisations "pro-impérialistes", tout en interdisant l'accès aux "vrais" révolutionnaires. Les formules font mal, l'insulte est facile, mais force est d'y réfléchir à l'heure ou de nombreux militants européens en appellent aussi à une radicalisation. Que se propose donc le MR ? D'interdire l'entrée des transnationales dans "nos" pays, de revenir à une agriculture douce pour limiter la dépendance aux transnationales, de nouer des relations fermes avec tous les partis révolutionnaires que compte la planète, de combattre les transnationales, de soutenir les organisations de libération de peuples opprimés, d'oppresser à son tour, mais les gouvernements laquais de l'impérialisme, et encore -sûrement le plus désagréable à entendre - "de dévoiler et contredire les différents types de réformismes - comme ceux du FSM et autres formations d'origine impérialiste - qui tendent à égarer et frustrer les forces révolutionnaires populaires", selon Jose Maria Sison, un des mentors du MR. Chacun sera juge.
En guise de générique final, deux sensations glanées sur le terrain de Résistance Mumbai. Un, la cantine est séparée en deux : côté hommes, côté femmes. Inquiétude... Deux, parmi les nombreux tracts distribués dans ce contre-forum, on trouve celui émanant de la "gauche indépendantiste basque", qui rappelle les 700 prisonniers politiques de cette région, les 7000 victimes de dénonciation, mais pas les innombrables victimes d'attentats aveugles qu'a connues le pays basque. Est-ce que les plus radicaux du mouvement altermondialiste ont une seule et unique définition du mot radicalisation ? L'exemple basque, si près de chez nous, fait mouche pour nous interpeller et débattre (encore)...
http://www.cmaq.net/fr/node.php?id=15176
wsf reports – wsf – www.agp.org (archives) | www.all4all.org