Le problème que nous voulons poser - à Prague et partout dans le monde - n'est pas seulement celui de la Dette, ni celui du dérèglement des marchés financiers. Depuis presque 20 ans, ces phénomènes ont provoqué un véritable holocauste. Ce ne sont pourtant que les derniers incidents de parcours du capitalisme. Le FMI, la BM et l'OMC, institutions responsables de ces " bavures ", ne sont elles-mêmes que les derniers avatars d'un régime économique qui depuis sa naissance ensanglante la planète. Elles ne sont que des éléments dans une politique d'ensemble qui vise à contrer les rébellions et exercer un pouvoir toujours plus étendu et plus absolu sur le monde entier.
C'est pourquoi la lutte contre le FMI/BM/OMC ne concerne pas que le Sud.
Sans refaire toute l'histoire du capitalisme, cela vaut un petit retour en arrière.
Le " bon vieux temps " du capital
Il était une fois les "trente glorieuses" années (1945- 1975) du capitalisme. "Glorieuses" car il y avait le plein emploi, l'Etat social et des salaires en hausse. Ce fut la seule période de son histoire à peu près sans crises économiques. Les prix Nobel de l'époque assuraient d'ailleurs qu'on n'en reverrait plus jamais... Pas si glorieuses que ça tout de même, puisque cela impliquait aussi le déracinement de millions de travailleurs/euses des campagnes d'Europe comme des Etats-Unis, un travail à la chaîne toujours plus abrutissant, une destruction de l'environnement sans frein, des dépenses militaires immenses et -comme toujours - l'exploitation effrénée des colonies ou ex-colonies. Au Sud, des prêts pour le "développement" étaient distribués, autant pour subventionner les industriels du Nord (chez qui finissait le gros de l'argent) que pour acheter des alliés politiques - notamment des dictateurs tels que Mobutu, Suharto, Marcos, etc. Avec ces prêts - à une certaine époque pratiquement forcés sur les gouvernements du Sud, en particulier par la Banque Mondiale - il s'agissait aussi d'imposer des formes de "développement" capitaliste. De cette époque datent une première série de désastres écologiques et sociaux: "révolution verte" de l'agriculture, barrages pharaoniques, etc., ainsi que l'expulsion d'une première marée humaine des campagnes et de ses formes d'existence en dehors du règne du capital. Parallèlement, ces pays tombaient dans un endettement dangereux à l'égard des puissances du Nord. Entre 1968 et 1980, la dette publique des pays du Sud et de l'Est a ainsi été multipliée par douze.
Les luttes des années soixante et septante ont mis en crise la rentabilité de ce modèle " keynésien " (état social et "partage" des bénéfices de la croissance au Nord, "développement" au Sud) du capitalisme. Au Nord, les luttes pour plus de salaire et contre le travail abrutissant à la chaîne, les luttes des femmes pour l'égalité et pour faire payer le travail de reproduction à travers des allocations sociales, les luttes étudiantes, de quartier, etc. ont dangereusement diminué la rentabilité du capital. Au Sud, depuis les années 1940 des politiques de développement autocentrées (substitution des importations), des mouvements de libération et des réformes agraires mettaient en cause, à terme, la rentabilité des ex-colonies, qui pouvaient profiter des contradictions entre leurs anciens maîtres et le capitalisme d'Etat du bloc de l'Est. Les révolutions chinoise, cubaine et algérienne inspiraient des révoltes partout, alors que les régimes populistes et nationalistes tels que le péronisme argentin, l'Inde de Nehru, l'Egypte de Nasser, la Yougoslavie de Tito ou l'Indonésie de Sukarno constituaient un pôle de pays " non-alignés ". La contre-offensive capitaliste a pris (et prend) beaucoup de formes, y compris les plus sanglantes (400 000 assassinés en Indonésie en 1965, des millions de morts au Vietnam, 25 000 disparus en Argentine, Pinochet, l'Amérique Centrale, 5000 morts par an en Colombie, etc., etc., etc.). Mais son chef d'oeuvre a été une réorganisation internationale du travail qui a frappé autant au Nord qu'au Sud.
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EducationLa Tanzanie utilise le tiers de son budget au remboursement de la dette, quatre fois ce qu'elle affecte à l'école primaire. Comme la Tanzanie, le Kenya est très endetté et paye le quart du budget de l'Etat au service de la dette et 6,8% seulement à l'éducation...Elles ne sont pas les seules : en Afrique subsaharienne le pourcentage d'enfants de 6-11 ans scolarisés chuta de 60% dans les années 80 à moins de 50% dans les années 90. SantéLes PAS ont accru les problèmes de santé dans les pays pauvres. Au Zimbabwe, par exemple, les dépenses de santé par tête ont chuté d'un tiers, depuis 1990, date de mise en oeuvre du PAS. En Zambie, la Banque mondiale a déclaré que les réformes du système de santé étaient un modèle pour le reste de l'Afrique. Selon Dickson Jere, ancien journaliste du Zambia Post: « C'est vrai qu'il n'y a pas de queue, mais c'est parce que les gens meurent chez eux.» En 1980, sous le gouvernement socialiste de Kenneth Kaunda, le taux de mortalité avant cinq ans était de 162 pour 1000, il est aujourd'hui de 202 pour mille : un enfant sur cinq meurt avant d'avoir atteint l'âge de cinq ans ! L'espérance de vie est tombée de 54 ans au milieu des années 80 à 40 ans aujourd'hui. Avec l'épidémie du SIDA, cela ne peut qu'empirer. Dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, les gouvernements ont dépensé quatre fois plus pour le remboursement de la dette que pour la santé publique, ceci malgré la propagation effrayante du HIV et du SIDA. InégalitéIl y a dix ans, les 20% les plus riches de la planète gagnaient déjà 50 fois plus que les 20% les plus pauvres, aujourd'hui c'est 150 fois plus et 50% de la population mondiale vit avec moins de 2 dollars par jour ! Merci qui ? |
Il a suffi d'une hausse massive des taux d'intérêt, décrétée sous Reagan (1979), pour que pratiquement tous les Etats du Sud se retrouvent dans la nasse, incapables même de payer les intérêts de leurs dettes, sans parler de rembourser. Le FMI/BM se sont alors convertis en nouveaux maîtres coloniaux du monde. Pas besoin, en général, d'envoyer les "marines", ni même d'élever la voix! Il suffit d'expliquer que les bailleurs de fonds du Nord "ne comprendraient pas", "n'auraient pas confiance" dans telle politique économique trop " démagogique ". Or les Etats du Sud doivent absolument emprunter, d'abord pour payer leurs intérêts - confiance des " marchés " oblige - ensuite pour financer les importations les plus essentielles. C'est ainsi que les élites (il y toujours moyen de s'arranger entre gens bien, même des ex-communistes) en viennent à accepter les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) dictés et administrés par les fonctionnaires du FMI/BM. Ces PAS imposent d'abord des mesures d'urgence, notamment la dévaluation de la monnaie (souvent de 40% à 50%) et une hausse massive des taux d'intérêt. La dévaluation est censée rendre plus compétitives les exportations (dont les recettes doivent servir à rembourser la dette...). Or, puisque les mêmes dévaluations sont imposées partout, cela ne sert qu'à rendre les exportations de tous les pays du Sud bien moins chères pour les transnationales qui les achètent ! En même temps, la dévaluation provoque une explosion dans les prix de produits importés essentiels (machines, pétrole, etc.) qui disloque l'économie locale. La hausse massive des taux d'intérêt achève de mettre sur la paille petits paysans et artisans, dont la production ne peut jamais être assez rentable pour emprunter à ces taux d'intérêt. Les industries locales ne peuvent guère résister non plus, d'autant plus que l'imposition du " libre " échange les met directement en concurrence avec des transnationales, qui peuvent emprunter à des taux bien plus bas sur le marché financier international et qui sont de toutes façons plus puissantes et rentables. Ensuite, les PAS incluent systématiquement l'élimination des tarifs protégeant les productions nationales, l'abolition de tout contrôle sur l'investissement et les mouvements de capitaux (notamment sur le rapatriement des bénéfices) et la suppression des subsides pour les biens et services essentiels (nourriture, éducation, santé). Les entreprises d'Etat sont privatisées (c'est à dire bradées aux transnationales). Une grande partie des fonctionnaires est licenciée. Les " droits de propriété intellectuelle " des entreprises étrangères sont reconnus (ce qui augmente massivement le prix des médicaments, entre autres), les protections environnementales et sociales sont affaiblies. La propriété communautaire ou étatique de la terre est condamnée pour permettre une appropriation massive des terres (et des produits du sous-sol) par les gros propriétaires et transnationales. L'industrie comme l'agriculture sont réorientées vers l'exportation (toujours pour payer la dette) aux dépens des besoins domestiques et de l'agriculture de subsistance. Les PAS ont provoqué un écroulement du niveau de vie, la famine, la perte de la terre pour des milliards de personnes. Les situations de chaos et de désintégration sociale sont devenues " normales " un peu partout dans le monde pendant les années 1990; la remontée des épidémies et des taux d'analphabétisme, les baisses massives de l'espérance de vie (en ex-URSS, elle baisse d'à peu près une année chaque année !) sont très directement liées à ces politiques du FMI et de la Banque Mondiale. Les guerres civiles en Yugoslavie, le génocide du Rwanda, pour ne citer que ces deux exemples, ont éclaté après que des PAS avaient ruiné ces pays.
Entre-temps, le Sud a remboursé plusieurs fois le montant des emprunts originaux, mais le coût des intérêts est tel que sa dette a doublé, puis triplé... Le but du FMI, de la Banque Mondiale et des puissances qu'ils servent était-il vraiment de la réduire ? Ça fait belle lurette que les pays pauvres paient chaque année beaucoup plus aux pays riches qu'ils n'en reçoivent. La Banque Mondiale elle-même, qui se donne des airs d'organisme désintéressé d'aide, est en fait une entreprise très rentable. Page 3 |
La charité bien ordonnée de la Banque Mondiale
Devant le Congrès, Lloyd Bentsen, ancien secrétaire au Trésor, a expliqué quels avantages les Etats-Unis tiraient de leur contribution à la Banque Mondiale:
« L'année dernière, les Etats-Unis ont avancé une participation de 1,6 milliard de dollars aux banques multilatérales. En retour, les banques ont octroyé aux compagnies américaines des contrats d'équipement pour un montant supérieur à 2,2 milliards de dollars. La différence en faveur des Etats-Unis est de 37%.»